petite chronique de ma rue
Il est 2 heures du matin. Le temps est doux, le ciel est clair, pas un bruit l’avenue dort.
Un léger ronflement dans le lit à côté de moi comme un souffle protecteur.
Le sommeil ne vient pas, trop énervée peut-être ? Chipie, d'un petit coup de sa petite patte de chihuahuate, vient de me demander le passage pour aller se blottir tout au fond du lit, au chaud près de moi.
J’écoute la radio, en changeant de programme Dire Straits m’explose dans les tympans plutôt tout au tréfonds de mon corps. The Sultans of swing. J’écoute la magie de la guitare de Mark Knopfler, encore un peu l’envie de danser m’envahirait. Je suis sous le charme et d’un coup les souvenirs me remontent en cascade. Dire Straits certainement un de mes groupes préférés, vu et revu en concert toujours avec le même plaisir animal. Et puis ressurgit le concert de juillet (de mémoire) 1984.
Ce soir là je le rejoins au POPB, entrée par la porte gauche. Les gens me bousculent un peu malgré tout attentifs à mon énorme bidou tout plein de 6 mois de grossesse très compliquée, mais la période me permettait justement une petite liberté alors j’étais venue.
Nous étions au fond de la salle pour éviter l’effet violent des décibels, qu’en temps normal, sans locataire, je redoute tellement. Les boules Quiès ne pouvaient rien sur mon petit ventre et son gentil occupant.
Ce petit occupant a d’ailleurs manifesté très violemment sa présence pendant le concert. J’avais recouvert mon ventre d’un gros chandail que j’avais apporté, mais rien n’y faisait il était très R&r attitude. Les petits pieds, les petites mains qui s’agitaient. Le ventre tendu comme un arc, distendu plutôt avec un bout de pied qui dépassait de ma peau vergeturée ! Je n’ai évidemment jamais pu savoir ce qu’il voulait manifester.
Ou il dansait heureux, ou il était paniqué par tout ce bruit. Avec le recul, la deuxième hypothèse me semble plus plausible.
Quoi qu’il en soit au bout d’une heure, dans ce doute, et sous cette pression violente dans mon corps nous avons décidé à regrets de quitter le concert.
Je me suis rattrapée en septembre. C’était la première fois que je te confiais un soir à Pépé et Mamie. Mais le besoin de revoir Dire Straits était trop fort.
Je ne vais pas dormir. Et puis il faut que j’écrive comme un besoin obsédant. Alors je quitte mon lit, laisse Chipie au fond du lit. Elle l’aura quitté à mon retour. Je sors de la chambre et me dirige, dans le noir, vers mon bureau en faisant le moins de bruit possible pour ne pas réveiller Fabio, peine perdue, je me bute sur quelque chose, quoi ? Je n’ai pas mes lunettes, j’allume quand même une petite lampe et extirpe mon cahier rouge en faisant attention au bruit. J’ai même peur de tourner les pages, le papier sur la spirale fait un petit bruit métallique très étrange.
Dire Straits se mélange à nos voisins. Ceux du 3 ; non du 7. Cette petite avenue est bizarre, le côté pair va bien, il y a le 2, le 4, le 6, le 8 (c’est nous), et le 10 nos amis.
Le côté impair est du grand n’importe quoi : le 1, une église baptiste. Pas de 3, puis le 7
Et au fond un immeuble le 5, je serais curieuse de savoir qui a eu cette idée lumineuse de numérotation !
Je reviens au numéro « 7 » qui me préoccupe cette nuit là.
Je ne connaissais pas ces voisins. D’ailleurs je ne leur parlerai pas durant leur court séjour ici.
J. m’en avait discrètement parlé. Une dame presque centenaire marchant difficilement et son fils. Ils habitent en Corse. Son mari est décédé depuis peu. Il y a environ 5 ans que la maison est vide. Voilà c’est tout.
D' anciens carrossiers de Clichy-Levallois, je suis sûre que certaines de mes connaissances fréquentaient cette adresse (mon oncle, mon cousin, papa). La rue où il y encore des tractions avant d’un autre siècle.
Depuis que nous sommes là, cette maison assez haute presqu’en face de la nôtre est fermée.
En début de semaine, ils sont arrivés sans faire de bruit, sans prévenir personne.
Peut-être pour ne pas déranger ou pour ne pas partager la tristesse de ce retour, prélude à la vente de leur maison et aux 45 années passées, sans aucun doute, entre moments de bonheur et de douleur.
La maison est un peu décrépie. Les volets s’ouvrent difficilement, les hivers, le soleil ont fait leur œuvre. Le grand portail jadis jaune très lumineux, est devenu pisseux. Des morceaux de bois sont vermoulus. Le noir des ferrures est terne, comme en deuil.
L’incinérateur à papiers va pendant une semaine, brûler des souvenirs, des documents, des lettres d’amour qui sait, dégageant une petite fumée discrète grise. La combustion donnera une odeur âcre, rance, de vieux papiers témoins d’une vie entière. Quand la fumée est blanche au Vatican c’est l’annonce d’une nouveauté, ici cette petite fumée est signe d’une petite mort.
Pendant ces quelques jours, j’ai donc vu les volets ouverts, un peu de lumière le soir, la couleur délavée triste et maronnasse d’une chambre. A part l’incinérateur et quelques visites ; des agences sans doute ou des visiteurs, peu de vie comme si tout était déjà fini. Que la page était déjà tournée avant ce retour.
Ils ont été plutôt discrets les voisins. Mais quelle tristesse durant ce séjour c’est évident. La vie est partie depuis longtemps, même les grands thuyas qui assuraient à chacun une vraie intimité ont renoncé à vivre. Ils ne sont plus que des carcasses mortes avec de grandes branches qui a chaque coup de vent se brisent et s’écrasent sur la chaussée. L’été dernier on a même du couper quelques branches qui dépassaient avec insolence du jardin, sans doute pour attirer notre attention, mais qui gênaient le passage des voitures rares qui s’aventurent dans notre rue en cul de sac.
Un ou deux rosiers s’acharnent à vivre, c’est fou comme le rosier est une plante tenace, lorsqu’elle a décidé de vivre rien, sauf les maladies, ne peut le faire renoncer à pousser.
Ce matin les volets se sont refermés définitivement pour eux, la dame ne reviendra plus, elle emporte dans quelques sacs des petits souvenirs. Un camion viendra lorsque la maison sera vendue récupérer les autres souvenirs plus encombrants. Ils finiront leur vie en Corse.
La dernière poubelle a été vidée. Ils peuvent fermer la porte.
Je les ai aperçus tous les deux, ils semblaient diaphanes, éteints, gris, la mère et le fils. Le taxi est arrivé, ils y sont montés avec difficulté, entassant leurs bagages. Le taxi vient de partir en marche arrière, c’est curieux comme à regret.
Moi, je les ai vu par hasard, je ne joue pas les concierges mais j’étais à la fenêtre à cet instant. Une connexion ?
Je ne sais pas pourquoi, mais une grande compassion, une tristesse, une onde violente de nostalgie m’envahit.
Pourtant dans quelques mois, une fois les travaux effectués, une famille viendra s’installer, la vie reviendra. Il y aura sûrement des enfants, çà j’aime pas, ils vont faire du bruit, crier, faire aboyer Chipie, me déranger dans mon intimité et dans ma sieste.
Décidément je suis sauvage, je devrais aller habiter dans les bois. Non, je ne peux pas j’aurais trop peur.
Le sommeil revient je retourne me coucher.
Le : 25/04/ 2010 2h du mat. dans mon bureau… sans lunettes et un peu en vrac