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Publié par fuzzybabeth

Mon  fer à repasser

Mes petits doigts s’affolent. Mon cœur bat la chamade. Je ne gère plus rien. Ma journée est un tourbillon de vide, de riens, de tout. J’ai tellement de choses à faire, tellement de tâches qui m’attendent. Le fer à repasser est branché. Je le vois clignoter, il m’appelle.

Tu m’as branché, j’ai chaud, viens je suis prêt, je n’attends que ta main sur ma poignée brûlante, un mouvement de ton poignet encore fin. Je veux courir sur le tissu, sur le satin de tes draps, sur la soie de ses chemises, sur le coton de tes t’shirts, sur la laine de tes pulls. Je vois la vie en blanc, en rouge, en bleu, en vert, des carreaux, des pois, des rayures, des tissus fins, des tissus épais, j’ai même éternué tout à l’heure, tu m’as fait repassé un plaid ou pourtant le petit logo était barré. J’ai été sage je ne l’ai pas brûlé, j’aurais pu, mais je ne voulais pas te faire de peine. Je sais que tu l’aimes ce vieux plaid à grands carreaux, aux couleurs flamboyantes  du rouge, de l’orange, du jaune, un fond de bleu et ses longues franges un peu emmêlées. Tu aimes t’y envelopper le soir quand le temps est un peu frais. Il est ton refuge. Tu te blottis dessous en regardant la télé. Parfois, je fais semblant de dormir, mais je t’observe du bout de ma semelle, je ne suis jamais très loin de toi.

Il faudrait que tu m’éloignes. J’aimerais retourner dans la buanderie. J’ y suis tranquille dans le noir. Le ballon d’eau chaude et la chaudière veillent. Pleins de petites lumières, des veilleuses pleines d’indications, tu n’y comprends rien. Moi non plus. Ils me font une douce compagnie. Parfois j’ai peur, la machine à laver me sort de mes rêves dans un fracas, de bruit d’eau, de tambour affolé qui tourne qui tourne qui lave ton linge, le rince, le fait sécher. Elles sont sages tes machines. Elles te savent tellement angoissée, affolée de peur que tout se détraque, que l’arrivée d’eau lâche.

Nous sommes tes petits soldats, nous te protégeons, tu sais ce n’est pas toujours facile. Quand je t’entends arriver, comme une armée de Napoléon prête à l’attaque. Tout valdingue,  tu vides les paniers, les sacs, le linge sale, tu n’as aucune pitié. Tu les sépares, tu les arraches à la chaleur de la douce pile qu’ils avaient adoptée. Le blanc, ici, le noir par là. Les pulls encore ailleurs. Il n’est pas question de mélanger. Tout est identifié, trié, séparé. Une couleur, une matière par machine. Pire, un individu par machine, tu ne mélanges rien. Ton linge, son linge et son linge. Souvent tu laves même la machine quand le linge est propre. Je pense que tu es un peu frappadingue. Il te faut longtemps parfois pour descendre libérer ton linge de la machine. En attendant, il t’attend, tordu dans le grand tambour, tout mélangé, une vraie orgie. Alors tu sors le linge et tu le secoues comme s’il avait fait quelque chose de mal. Tu l’aères comme tu dis. Ah bon.

Tu es excessive, volcanique, impulsive mais je sais que tu es pleine de tendresse et que ta brusquerie ne fait que masquer des tonnes de mots d’amour que tu aimerais pouvoir déverser dont tu ne sais plus quoi faire. Ton cœur est gros, gros de mots, d’amour, de tendresses invendues. Alors encore aujourd’hui je vais te pardonner de me laisser clignoter : feu vert, feu orange, feu rouge : dis moi quand reviendras tu poser ta main sur ma poignée en plastique. Je t’attendrai encore chaud pour toi. Je me serai un peu oublié, l’émotion peut être toute l’eau de mon réservoir sera répandue sur la planche. Tu rouspèteras mais tu me pardonneras. Tu enlèveras ma couche, tu la changeras, tu avais prévu. Aujourd’hui je verrai la Corse ou la Bretagne. Je suis un peu vieux, je m’oublie. Mais tu me gardes. Je le vois l’autre à côté, un plus jeune, il t’appelle. Seul ton fils s’en sert. Tu me préfères, malgré mes bêtises. Il ne comprend pas ce que tu me trouves, moi je sais tu aimes la façon dont je caresse ton linge, dont je t’accompagne dans tous tes gestes. On peut s’attendre à tout avec toi, même de se retrouver les quatre fers en l’air sur le parquet. Là tu gueuleras, toute seule, et tu geindras, « et mon parquet ». Oh lala calme toi, je ne suis qu’un fer à repasser, et même si je me suis fait mal je ne me plaindrai pas, j'attendrai que tu me ramasses et je recommencerai à clignoter.

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