au-delà des jumelles
un rayon de soleil nous visite
soudain la vie est plus belle
mes pensées sont ailleurs
dans mon passé présent
je prends mon temps
elles étaient au fond d'un carton
un des trésors récemment retrouvés
de la poussière, de la crasse, des tâches d'humidité
virer la vieille sangle de plastique
elles méritent mieux
je vais leur chercher une belle attache
l'étui est très laid style carton bouilli marronnasse,
piqué de partout de points blancs qui font des petits tas de tâches
il va finir dans la grande poubelle
celle où finissent les vilaines choses qui n'éclairent plus ma vie
Je les attrape
respect
timidité
inquiétude
appréhension
intimidée
à travers elles c'est lui que je touche, que je sens,
que je retrouve
il y a pourtant presque trente ans qu'il ne peut plus les toucher
comme le soir quand je le sens, lumière éteinte, blottie dans mon lit
l'odeur du café frais me revient
j'ai oublié sa voix, ses rires, ses rares colères
son odeur est dans mes narines
en les prenant je sens sa main sur la mienne
il m'encourage
il l'a toujours fait
il me faisait confiance
Elle était un peu jalouse
un peu ?
Elle n'aimait pas qu'il regarde dans un autre miroir que le sien
elle n'aimait pas qu'il aime autrement qu'elle
ou est-ce ma perception de petite fille ?
pas vraiment
il a dit des mots
il me parlait
on se parlait
il m'a vu dans des situations embarrassantes
il n'a rien dit
il savait
il comprenait
elles sont dans mes mains
elle ne voulait pas qu'ils se les offrent
elle ne voulait pas lui offrir
pourtant c'était presque son seul désir
et elle disait quelle l'aimait
moi je n'offre plus
je ne dis pas que j'aime
je suis quitte avec moi même
noires, elles sont noires
petit à petit les lentilles redeviennent claires et lumineuses
le coton-tige s'introduit dans les petits interstices
encore deux minutes elles seront comme neuves avec un parfum frais et léger de propre et de bonheur
prêtes à reprendre du service
bientôt elles seront sur mon nez, les yeux rivés à travers leurs lentilles
Je regarderai les fleurs du jardin de tout près
Je regarderai les quelques insectes hésitants après la pluie, la trompe prompte à butiner les pistils veloutés
Et puis
Et puis
Une chance ce matin le ciel est sans nuages
Alors je les lèverai doucement vers le ciel
Je scruterai l'horizon
Et je dirai
Papa tu es là ?
Regarde comme elles sont belles tes jumelles
Elles t'attendent
Et je lui enverrai un énorme sourire comme lorsque j'étais petite fille et que le soir j'allais le chercher au retour du travail et me jetais dans ses bras.