les madeleines patinaient
ne pas s'arrêter ...
ne pas s'arrêter en si bon chemin,
d'autres pages à venir pleines de promesses
revivre les jolis moments de partage
toujours aller plus loin, plus haut,
vers le plus beau, le plus doux
ressortir les œufs et la farine,
fabriquer des gâteaux, inventer des mélanges,
malaxer les ingrédients,
pétrir la farine
souffler dessus et voir des petits nuages s'envoler,
la vie est belle
la tête occupée des saveurs du monde entier
des parfums du jardin
de mille choses si douces comme le miel
comme un sourire
comme une présence
pendant ce temps-là :
les petites madeleines se sont échappées :
chaud, chaud nous avons trop chaud dans ce grand moule
chaud, chaud, nous voulons respirer
tu viens dis sa copine, et si nous partions
regarde derrière toi, il y a des choses vertes,
elles ont un parfum fort, tendre, piquant
regarde, elles sont aussi grandes que nous
viens, jetons nous de ce moule
oh çà fait mal
je suis tombée sur une rainure et je me suis brulée sur la plaque
oh, j'ai mal
c'est rien, c'est rien,
viens, viens vite, je t'attends
regarde, j'ai préparé les patins
tu sais c'est comme leurs chaussures,
ils mettent des trucs dedans
des semelles ?
oui, je sais pas
des semelles à la clorofil ?
comment t'écris çà ?
bah je sais pas écrire
je ne suis qu'une madeleine
même pas la madeleine de Proust
juste un petit gâteau au ventre rebondi
dans mon habit à rayures
j'ai commencé dans un grand saladier
dans un mélange bizarre de pleins de choses
de toutes les couleurs
de toutes les odeurs
du salé, du sucré, du sec, du gras, du laiteux,
enfin je ne connais pas tous les mots
elle a tout mélangé
avec un instrument barbare
j'ai eu peur quand elle nous a jeté dans un sac plastique
et puis elle a appuyé dessus pour former des petits tas dans le truc tout noir
j'ai encore eu peur quand elle a ouvert la grande porte qui faisait un bruit d'enfer
comme un soufflet de forge
mais oui, je sais, c'est le four,
c'est comme çà qu'elle l'appelle
elle tourne des boutons,
çà s'éclaire
c'est comme un feu d'artifice
et puis, elle dit
"c'est bon"
et nous voici dégoulinant de peur, de sueur, de chaleur
trop tard nous voici bientôt cuites
et copine, arrête de rêvasser
monte sur la feuille verte
n'ait pas peur
c'est comme les semelles
mais c'est pas de la "clorofil"
parce que nous on pue pas !
on sent bon, l'odeur de l'enfance
du gâteau tout chaud
des moments doux de la vie
c'est… de la menthe verte fraiche
sent comme c'est doux sous ton ventre
viens, çà y est, tu es calée, secoue-toi
tu as encore un peu de farine sur le dos
secoue-toi, encore, un tout petit peu,
et viens partons,
avant qu'ils nous rattrapent
allons danser, allons nous amuser
et les copines ?
oui les copines ?
d'accord, y'a pas assez de menthe
et puis elles sont encore endormies par la chaleur,
comme un mexicain basané après trois mojitos
oui, tu as raison
elles ne sont pas malheureuses
elles ne savent pas …
fuyons
viens ma sœur
"nous sommes deux sœurs jumelles"
nées sous le signe du bélier,
Mi fa sol la mi ré, ré mi fa sol sol sol ré do
Oh ! mais c'est quoi ce truc qui nous regarde ?
Je connais pas
Mais çà bouge, çà a des yeux et çà frétille de la queue,
Ah oui, c'est le chien
Cramponne-toi à tes patins, il ne faut pas que l'on tombe dans le précipice autrement s'en sera fini de nous et de notre escapade, la chose noire en bas nous attrapera et nous croquera, crac, d'un coup, et nous disparaitrons dans son petit estomac gourmand.
Elles patinaient, elles patinaient …