ATELIER 106 JARRY
À GAUCHE DE MON ARBRE
À gauche de mon arbre, le soleil brille. Les ramures sont fortes, le côté gauche a pris toute la vigueur. Et pourtant le tronc penche à droite, mais la vie est à gauche, là, omniprésente, les feuilles, les aiguilles se tournent vers le soleil, vers la vie.
De l’autre côté, il y a la maison. Mon côté droit souffre d’une malformation. Il était à l’ombre. Il n’a pas su se développer. C’est moi qui ai pris tout le bon de la vie.
J’en suis fier, même si je me sens un peu comme un jumeau qui aurait laissé mon autre moi dépérir.
La maison est pleine d’enfants. L’été, ils viennent se réfugier sous mon ombre. Ils transportent tous leurs trésors d’enfants, leurs jouets, leurs livres. Ils s’inventent des histoires :
«ici radio l’arbre»
«Comment allez-vous aujourd’hui ?
Ça ne durera qu’un été, l’hiver je me dénuderai. Alors que les humains empilent des pelures les unes sur les autres, moi je me dépouille.
Pendant ce temps-là, un chenapan, le petit blond aux yeux bleus, je vous en ai déjà parlé l’année dernière, s’approche de moi, il va encore sévir. Je le sens. Mais que font les parents ? La sieste : j’en suis sûr. La progéniture laissée à elle-même ; un vrai cauchemar quand ils se déchainent. Et voilà, crac, je viens de prendre un coup de canif dans mon écorce, je saigne de la gomme. J’ai un peu mal. Et vlan, une giclée de latex dans l’œil du morveux énervé qui arrache son canif de mes entrailles et part en courant et en hurlant.
Les parents sortent de leur sieste. Il se prend une taloche, pour les avoir dérangés, pas pour m’avoir blessé, c’est clair. Il monte pleurer dans sa chambre. Me voici vengé. Radio l’arbre s’est tue. Alors, moi, je relève mes branches pour attendre les mésanges qui vont bientôt arriver.
À DROITE DE MON ARBRE
Je suis la droite de l’arbre, la partie à l’ombre, le côté obscur. C’est sur la partie gauche que les enfants vont se déchainer et faire des bêtises. Ils préfèrent le soleil, mais aussi le vent qui m’agite frénétiquement parfois.
Moi, le côté droit, j’accueille les anciens de la maisonnée. Entre la maison et mon tronc commun avec ma moitié gauche, ils ont installé une grande table en bois. Lui a eu moins de chance, un coup de tronçonneuse, transporté sur des centaines de mètres sur des chemins caillouteux, ses branches sciées ou arrachées pendant le transport. Il est mort et a fini débité en lames, en planches. Le pauvre, le voici devenu table ! et encore je ne vous parle pas des fauteuils. Peut-être un jour vivrai-je le même sort ? En attendant, je les retrouve, jour après jour, quand les piailleurs sont partis pour la douche, ils sortent les verres, le pastis et les cartes.
Ils se regroupent parfois à quatre, parfois six ou plus.
Selon le nombre, ils choisissent le jeu auquel ils vont consacrer les heures de fin de soleil avant d’enfiler une petite laine.
Après ils rentreront dîner avec toute la famille, tous les âges mélangés. Ils ne diront plus rien, perdus par les conversations des jeunes adultes qui savent toujours tout. Ils entendront iPad, Mac et autres mots barbares. Eux, ils sont restés à la Remington portative, celle sur laquelle on chantait : L.A. E. dans l’A T.I.T.IA.
Le pastis les aura ragaillardis. Ils iront se coucher, heureux d’avoir vécu un autre jour. Demain, ils reviendront me voir et s’abriter. Ce sera rami ou belote. Je ne sais pas pourquoi, mais chaque année ils sont moins nombreux. Je crains qu’un jour ils ne viennent plus profiter de mon ombre.
QUE SE PASSE-T-IL DANS L’ARBRE OU AU MILIEU OU DEVANT L’ARBRE ?
À gauche, à droite et au centre. Je contemple mon arbre. En fait, je suis l’arbre généalogique de cette grande famille nombreuse.
À gauche, les enfants, la branche montante ceux qui sont l’avenir de la famille.
À droite, les anciens, de moins en moins nombreux. Ils ont hérité des encore plus anciens puisque la famille remonte au 15ème siècle, leurs recherches n’ont pas abouti plus avant. Ils se sont arrêtés à des ancêtres qui venaient de l’Europe entière et même de l’autre côté de la Méditerranée.
Nous nous sommes le centre, la force vive de l’arbre. Ici et maintenant, l’aujourd’hui de la vie.
Nous participons à la vie d’aujourd’hui, entretenons le passé et ce que la droite de l’arbre nous a enseigné. Nous en avons rejeté beaucoup, le monde a évolué si vite ! «Quand la Chine s’éveillera» écrivait Alain Peyrefitte, il y a, je ne sais plus, une trentaine d’années. Nous tremblions un peu sans trop y croire. La chine s’est éveillée ! le monde a vacillé. Nos repères se sont écroulés.
Il faut jongler, entre hier, aujourd’hui, chaque jour plus compliqué et le demain de nos enfants.
Mon arbre généalogique souffre. Les nouveaux adultes ne quittent plus le nid familial, ils prennent difficilement leur envol et de plus en plus tard.
Qu’allons nous leur laisser, nous le centre de l’arbre ?
Les anciens, hier des guerriers, ont abandonné la partie sauf leurs parties de cartes !
Nous nous sommes perdus devant cet avenir au centre de nos préoccupations.
3 JUILLET 2011 - 106 rue de la Jarry Vincennes
INVITATION :
Atelier d’écriture, créations et arbres – première partie.
Nous avons tous besoin de nous exprimer. Souvent nous n’avons ni le temps, ni l’énergie, or la création sommeille en chacun de nous.
Il s’agit de réveiller notre enfant artiste, de le laisser revenir à nous et entendre ce qu’il a à nous dire. Pour cela, il s’agit de se poser dans le ici et maintenant et oser, oser écrire, oser être dans toutes nos dimensions.
L’atelier du 3 juillet portera sur la faculté des histoires à provoquer un séisme en nous ; nous irons explorer son mystère.
Le thème de l’arbre nous guidera, comme une de ces boîtes magiques que nous ouvrons dans les heures enfantines et les greniers.
L’arbre renvoie à la verticalité, au lien entre le ciel et la terre, à la notion du maintenant… et tant d’autres notions… Des tremplins d’écriture et des exercices de qi-gong seront proposés pour incarner ce présent où les portes créatives s’ouvrent.
L’atelier est mené par Marie Debray, écrivain et entraîneuse à la vie artistique et poétique.