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Publié par la tortue à plumes

 

Mais peut être

Ne reste-t-il

Au temps caméléon

Plus de couleurs ?

Encore un sursaut

Et il retombera,

Sans souffle et rigide.

Peut – être,

Enivrée de fumées et de combats,

La terre ne relèvera-t-elle jamais la tête ?

Peut être,

Un jour ou l’autre,

Le marais des pensées se fera cristal

Un jour ou l’autre,

La terre verra le pourpre qui jaillit des corps,

Au-dessus des cheveux cabrés d’épouvante

Elle tordra ses bras, gémissante

 

Peut être…

 

Écoutez !

Puisqu’on allume les étoiles,

c’est qu’elles sont à

quelqu’un nécessaires ?

C’est que quelqu’un désire

qu’elles soient ?

C’est que quelqu’un dit perles

ces crachats ?

Et, forçant la bourrasque à midi des poussières,

il fonce jusqu’à Dieu,

craint d’arriver trop tard, pleure,

baise sa main noueuse, implore

il lui faut une étoile !

jure qu’il ne peut supporter

son martyre sans étoiles.

 

Ensuite,

il promène son angoisse,

il fait semblant d’être calme.

Il dit à quelqu’un :

“Maintenant, tu vas mieux,

n’est-ce pas ? T’as plus peur ? Dis ? “

 

Écoutez !

Puisqu’on allume les étoiles,

c’est qu’elles sont à quelqu’un nécessaires ?

c’est qu’il est indispensable,

que tous les soirs

au-dessus des toits

se mette à luire seule au moins

une étoile?

 

traduction Simone Pirez et Francis Combes

 

 

🔹🔸🔹🔸

 


 

et =====

 

À vous toutes

que l’on aima et que l’on aime

icône à l’abri dans la grotte de l’âme

comme une coupe de vin

à la table d’un festin

je lève mon crâne rempli de poèmes

Souvent je me dis et si je mettais

le point d’une balle à ma propre fin

Aujourd’hui à tout hasard je donne

mon concert d’adieu

Mémoire !

Rassemble dans la salle du cerveau

les rangs innombrables des biens-aimées

verse le rire d’yeux en yeux

que de noces passées la nuit se pare

de corps et corps versez la joie

que nul ne puisse oublier cette nuit

Aujourd’hui je jouerai de la flûte sur

ma propre colonne vertébrale

 

 

extrait de « La flûte des vertèbres »

 

===== 

 

Est-ce vous

Qui comprendrez pourquoi,

Serein,

Sous une tempête de sarcasmes,

Au dîner des années futures

J’apporte mon âme sur un plateau ?

Larme inutile coulant

De la joue mal rasée des places,

Je suis peut-être

Le dernier poète.

Vous avez vu

Comme se balance

Entre les allées de briques

Le visage strié de l’ennui pendu,

Tandis que sur le cou écumeux

Des rivières bondissantes,

Les ponts tordent leurs bras de pierre.

Le ciel pleure

Avec bruit,

Sans retenue,

Et le petit nuage

À au coin de la bouche,

Une grimace fripée,

Comme une femme dans l’attente d’un enfant

À qui dieu aurait jeté un idiot bancroche.

De ses doigts enflés couverts de poils roux, le soleil vous a épuisé de caresses, importun comme un bourdon.

Vos âmes sont asservies de baisers.

Moi, intrépide,

je porte aux siècles ma haine des rayons du jour ;

l’âme tendue comme un nerf de cuivre,

je suis l’empereur des lampes.

Venez à moi, vous tous qui avez déchiré le silence,

Qui hurlez,

Le cou serré dans les nœuds coulants de midi.

Mes paroles,

Simples comme un mugissement,

Vous révèleront

Nos âmes nouvelles,

Bourdonnantes

Comme l’arc électrique.

De mes doigts je n’ai qu’à toucher vos têtes,

Et il vous poussera

Des lèvres

Faites pour d’énormes baisers

Et une langue

Que tous les peuples comprendront.

Mais moi, avec mon âme boitillante,

Je m’en irai vers mon trône

Sous les voûtes usées, trouées d’étoiles.

Je m’allongerai,

Lumineux,

Revêtu de paresse,

Sur une couche moelleuse de vrai fumier,

Et doucement,

Baisant les genoux des traverses,

La roue d’une locomotive étreindra ton cou.

 

===== 

Si je croyais à l’outre-tombe…

Une promenade est facile.

Il suffit d’allonger le bras, –

la balle aussitôt

dans l’autre vie

tracera un chemin retentissant.

Que puis-je faire

si moi

de toutes mes forces

de tout mon cœur

en cette vie

en cet

univers

ai cru

crois.

 

Cela, 1923

=====

🔹🔸🔹🔸

 

 

 

Au sommet de ma voix (1928-1930)

Derniers vers inachevés

 1

 Elle m’aime, elle ne m’aime pas

Je trie mes mains

Et j’ai cassé mes doigts.

Alors les premières têtes des marguerites

Secouées d’une chiquenaude

sont cueillies et sans doute

éparpillées en mai

que mes cheveux gris se révèlent

sous la coupe et la douche

que l’argent des années nous enserre éternellement !

honteuse sensation banale – sentiment que j’espère

que je jure

jamais elle ne reviendra vers moi.

****

 

2

 

C’est bientôt deux heures

Pas de doute tu dois déjà dormir

Dans la nuit

La voix lactée avec ses filigranes d’argent

Je ne suis pas pressé

Et rien en moi

Ne veille ni ne t’accable de télégrammes

 

***

3

La mer va pleurer

La mer va dormir

Comme ils disent.

L’incident s’est cassé la gueule.

Le bateau de l’amour de la vie

S’est brisé sur les rochers du quotidien trivial

Toi et moi sommes quittes ;

pas la peine de ressasser

Les injures de chacun

Les ennuis

Et les chagrins

****

4

Tu vois,

En ce monde tous ces sommeils paisibles,

La nuit doit au ciel

Avec ses constellations d’argent

En une si belle heure que celle-ci

Quelqu’un alors s élève et parle

Aux ères de l’histoire

Et à la création du monde.

 

***

5

Je connais le pouvoir des mots ;  je connais le tocsin des mots

Ce n’est pas le genre que les boîtes applaudissent

De tels mots des cercueils peuvent jaillir de terre

Et iront s’étalant avec leurs quatre pieds en chêne ;

Parfois ils vous rejettent, pas de publication, pas d’édition.

Mais les mots sacro-saints qui vous étouffent continuent à galoper au dehors.

Vois comme le siècle nous cerne et tente de ramper

Pour lécher les mains calleuses de la poésie.

Je connais le pouvoir des mots. Comme broutilles qui tombent

Tels des pétales à côté de la piste de danse rehaussée.

Mais l’homme avec son âme, ses lèvres, ses os…

 

🔹🔸🔹🔸

 

 

(https://poesiemuziketc.wordpress.com/2012/04/03/maiakovski-choix-de-textes)

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