Il y a ce que j'oublie et les phrases et images qui me rentrent dans le cerveau et qui n'en ressortent pas.
J'ai, telle Soeur Anne, attendu la parution du livre, sans penser à demander ce qu'il en était advenu, pendant tout ce temps. Enfin, il y a quelques jours la bonne nouvelle :
oiseaux de tempête est enfin paru.
problèmes du covid, de l'édition, bref…
et d'un seul coup, comme une évidence ; il me le faut.
Trop tard, le couvre-feu est entré en vigueur. Il est 19h12, on ne plaisante pas.
Le lendemain, direction la librairie, juste sur le trottoir d'en face par chance.
Après quelques mots échangés avec la libraire, je lui tends ma Visa : Il est à moi et je sais d'avance qu'il va compter dans mes lectures.
Aussitôt chez moi, un coup de gel sur les mains, que déjà je le feuillette et lis les premières pages et quelques autres, déjà accrochée, alors que le texte est ardu, avec un jargon marin qui échappe très largement à mes connaissances.
Et pourtant me voici happée, emportée dans le grand nord, direction le Labrador.
Et je lis l'haleine courte, giflée par les déferlantes, par la glace et cette histoire d'hommes, de marins, de sébastes, de chaluts...
Ici c'est l'Islande, il fallait s'en douter !
Que je vous dise, il s'agit du dernier livre d'Einar Kárason et de ses "oiseaux de tempête" les mouettes tridactyles.
"être marin en Islande c'est être soldat en temps de guerre" p 47
Mais ce n'est pas un polar, ce n'est pas de la poésie, encore que pour moi c'est de la poésie en prose tellement l'écriture est puissante, virile et que même on y parle livres autour d'un café.
Pas vraiment le style collection Harlequin, l'aventure est sublimement terrifiante, et si l'amour n'est pas dans ce récit il n'est nulle part ailleurs.
Je me demande chaque fois, comment un pays aussi resserré sur lui-même (j'exclus le Danemark) peut-il produire autant d'auteurs prolifiques, poétiques ?
parce que ce pays est unique
parce que le climat
parce que les volcans
parce que la latitude
parce que les origines
parce qu'il est posé entre deux continents
parce qu' il n'y a pas le choix.
L'Islande est un pays de survie qui a besoin d'exprimer ses peurs et de se réinventer en permanence. Un pied dans le passé, un pied dans le présent.
Il n'y a pas d'acquis et ça c'est moi.
"tous les matins sur le métier remettez votre ouvrage" Rien n'est jamais acquis ! jamais… et même si jamais n'existe pas, il y a quelque chose de beaucoup plus fort et puissant dans ce peuple. Et ce bouquin est justement là pour nous le rappeler à chaque page, à chaque phrase, avec force et conviction mais sans haine, mais avec une émotion contenue.
Que c'est bon !
J'y suis comme un poisson dans l'eau, si je puis dire, moi qui suis attirée par la mer mais qu'elle terrorise et qui ne sait même pas nager. Une fascination qui doit venir de mon cerveau reptilien et de ma vie intra utérine.
Je navigue entre funes, boscos, chaluts élingués et ça me plait.
Puisque je ne sais pas faire une seule chose à la fois, ma tête part en vrille, je pense à Loti, au Titanic, aux mémoires de Kersauzon.
Et dans ma petite enfance à Thor Heyerdahl et son expédition du Kon Tiki, et Bombard, dont les deux livres trônaient dans la bibliothèque de mes grands-parents et qui me fascinaient. Pourquoi ont-ils disparu ? j'aimerais bien aujourd'hui pouvoir encore les feuilleter… d'occasion peut-être ? Mais auront-ils le même goût salé de l'aventure et mon regard de petite fille ?
Je pense aussi à Sjón, à G. Gunnarsson et "le berger de l'Avent", offert à Noël au lieu des traditionnels chocolats, à mes amies ! Evidemment qu'Indridason est présent mais à part.
"Les roses de la nuit", mon livre de chevet depuis des semaines, est en apesanteur de lecture : le début du roman, dont l'histoire se situe dans l'ancien cimetière de Reykjavik m'a tellement marqué que j'y suis allée deux fois, dont un jour sous la neige fraîche lors de mon trop court séjour en Islande.
Mes activités accaparent trop ma frêle matière grise disponible pour trouver un peu de temps à l'abandon unique et vital à l'être humain de la lecture. J'ai accumulé beaucoup de retard. Pour le moment "je vis Panthéon", il y a pire comme compagnon de route.
Ce livre est une rencontre rare avec la vie qui mérite la pause que je m'accorde pour le déguster sans modération. Un ovni pour faire simple.
Evidemment, je pense au fabuleux traducteur dont l'amitié m'est précieuse qui m'en avait parlé bien avant le covid, et dont la traduction d'une histoire qui se passait exclusivement sur un bateau était autant houleuse que passionnante. Maintenant je comprends pourquoi !
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références :
*EINAR KÁRASON : "oiseaux de tempête" chez Grasset
Arnaldur Indridason : Les roses de la nuit chez Métailié - NOIR
Gunnar Gunnarsson : Le Berger de l'Avent chez Zulma poche
Sjón : le moindre des mondes
traducteur : Eric Boury
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