mort à venise
Ah ces villes qui me collent aux semelles
comme un sparadrap qui ne voudrait pas se décoller !
Elles sont plusieurs
elles sont très peu
une seule main me suffit
pour les serrer dans mes doigts
les faire monter dans mon cerveau
et partir à rêver
que mes pieds en apesanteur
les parcourent encore et encore
le nez au vent.
Mer, estuaire, océan ou fleuve
il me faut de l'eau
pour m'y sentir à l'aise
toujours retrouver la matrice
flotter, rêver, imaginer.
Elles s'appellent :
Reykjavik, San Francisco,
Le Havre, Venise.
Pas Paris ?
pourtant il y a la Seine !
"fluctuat nec mergitur".
Paris est à part.
J'y suis née
mes parents y vivaient
je m'y suis mariée
j'y ai donné la vie,
j'ai aussi failli la perdre
à une poche de sang près.
Un jour, par nécessité
je l'ai quittée
il m'aura quand même fallu cinq décennies
pour accomplir tout ce chemin.
Perugia est à part.
J'y ai rencontré l'amour
il n'y a pas la mer
mais des collines époustouflantes,
les séjours en famille,
j'ai toujours ses odeurs de bois, d'authenticité,
qui flottent au niveau de mes narines.
Ces deux villes sont hors concours,
je les connais trop ou pas assez.
Les autres m'entraînent dans une autre dimension.
Je les ai choisies,
elles avaient quelque chose que les autres n'ont pas
je n'ai pas encore regretté.
Venise depuis mon retour il y a deux ans m'habite.
Je ne vis pas Venise
Venise n'existe pas,
Venise n'est qu'une imposture posée sur une lagune.
Mais Venise est sublime.
Intemporelle, figée dans un siècle incertain.
Venise n'est pas belle,
Venise est Venise.
J'alterne entre exposition, livre, documentaire,
photo, film enfin tout ce qui me permet de vibrer
et de m'interroger.
Un polar en cours de lecture me laisse dubitative.
Si l'intrigue ne se passait pas à Venise
je l'aurais déjà refermé,
prise dans la nasse, dans les canaux, dans le mystère,
je poursuis page après page à la recherche du tueur.
Mourir à Venise ! et pourquoi pas
comme Gustav Aschenbach
dans le film, sur la plage du Lido.
Il y a tant à faire avant de mourir.
Se perdre dans les rues,
sous les passages mystérieux
le long des quais.
Cette ville autant vivante que morte
dont aucun rideau ne bouge aux fenêtres
seule la vie incessante sur les canaux
est digne d'intérêt.
Et pourtant !
l'impression étrange qu'à n'importe quel moment
tout peut disparaître, s'engloutir
et que tout sera normal
comme l'acqua alta qui submergerait la ville.
Ce fim ne pouvait pas se tourner ailleurs qu'ici
il ne pouvait pas exister ailleurs,
l'histoire est tellement insensée et de cette force inouïe
qu'elle ne pouvait que faire écho à la vie vénitienne :
insensée comme elle.
Je me suis figée, via la pellicule,
pendant deux heures
sur les paysages
les reflets de l'eau
sur l'intrigue
sur les protagonistes
et la musique loin de Vivaldi.
Tout y est démesuré
tout est excessif,
et non
tout semble parfaitement normal.
Dire que j'ai aimé revoir ce film est un euphémisme.
Quel plaisir, je n'ai pas envie d'en écrire plus,
je vais rester dans cette bulle pour la journée
accompagnée des regards, des mots, des chapeaux,
de la lagune, sans jugement,
juste dans ma bulle vénitienne
et encore une fois,
vue du Lido, de Cannaregio
d'une ruelle, d'un pont
transcendés lorsque j'ai les yeux clos.
Ma journée sera belle
le temps s'est arrêté...
©la tortue à plumes 🐢
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