11h17 un mercredi
Sortir.
Sortir pour oublier les émotions, le quotidien, les douleurs.
Sortir pour oublier le passé, le présent, le futur.
Sortir pour soulever le couvercle de la cocotte minute qui bout en moi
Sortir pour me dérouiller.
Sortir parce que le soleil brille.
Vite il faut en profiter.
Est-ce le vert des épinards dans la cocotte, qui en est le déclic ?
Est-ce une lettre pour laquelle il va encore falloir demander des explications ?
Pourquoi les choses simples sont-elles si compliquées ?
Marcher. Rythmer sa vie d'un pas décidé.
Marcher mais pas n'importe où.
11h17 je quitte la maison. Bonnet sur la tête, des gants rouges, je suis le petit chaperon rouge qui va traverser la forêt.
Quelques centaines de mètres d'asphalte et les bruits de la ville auront disparu.
Quelques minutes pour rejoindre mon petit paradis vert.
Les larmes coulent le long de mes joues, giflées par la bise d'hiver. Je sens leur chaleur. Le soleil brille. Mes lunettes ont déjà foncé. Personne ne pourra voir mes yeux humides. Ma vue est brouillée. Mes jambes flageolent, des frissons envahissent mes cuisses, vais-je arriver au bout du chemin ?
Je franchis la grille. Les oiseaux m'accueillent. Leurs pépiements envahissent l'atmosphère. Le ciel bleu leur répond.
Sous le pont, les pigeons amoureux fêtent la Saint Valentin.
Je me coule discrètement dans cet espace protégé que j'aime tant. Un semblant de campagne, de bonheur simple. Les arbres ne savent plus quelle partition jouer. L'hiver n'est pas arrivé. Des branches se couvrent de petits bourgeons fragiles. L'aubépine lance vers le soleil ses fleurs au blanc virginal. Ce petit monde me rassure. Il me tient chaud au cœur.
Presque seule, un joggeur et moi.
Tiens des teckels ! Il me semblait que les chiens étaient interdits.
Un vélo remonte vers la gare. Je pensais que les vélos étaient interdits.
Un autre chien. Un énorme chien oublie ses besoins dans l'herbe. Et si c'était parce que les élections municipales approchaient. Je souris à cette pensée.
La prochaine fois tu m'accompagneras. Je n'aurai pas vu le panneau rond avec le chien barré de noir. Et gare au premier qui me fera une réflexion.
Les pensées affluent dans ma tête, je ne peux les arrêter. Qui pourra un jour me donner la clé pour fermer ce robinet ?
Je pense à ce qui m'attend, à ce que je devrais faire et que je ne fais pas. L'hiver ne me vaut rien même sous le soleil. Je ne suis pas guérie des blessures récentes et du départ d'un ami. Je sais que sa mort laissera des traces. Elle me fait réfléchir. C'est ainsi que l'on avance dans la vie. Il faut le temps de digérer et de s'en imprégner. Je suis dans le doute. Quel sens donner à ma route ? Je me cherche. Je me perds, je me retrouve. Et la vie continue.
Au loin deux enfants. Le garçon avec un bâton tape sur le petit puits, celui où les osmies se protègent. C'est plus fort que moi, il faut que je fasse une réflexion au gamin. Je ne suis plus le chaperon rouge je suis la sorcière.
Je lui fais un peu peur, en lui disant que les abeilles habitent ici. Il disparaît de ma vue.
Je continue ma marche. Les passants sont toujours aussi rares. L'air est toujours frais, le soleil brillant, ma vue brouillée, mais le calme s'installe peu à peu. Ma respiration se fait plus légère. Je suis arrivée au bout du chemin. Je fais demi-tour. Les oiseaux chantent toujours. Je laisse les rails qui ne mènent plus nulle part derrière moi. Les aiguillages devenus inutiles, les graffiti qui m'exaspèrent. Les chants des oiseaux s'estompent. Les bruits de la rue sont revenus.
Mes semelles sont boueuses. Je laisse mes chaussures devant la porte. Pour une petite heure, j'ai quitté ma vie. Il me faut la reprendre où je l'avais laissée.
Qu'elle était belle ma balade de 11H17, seule, sans téléphone, sans papier d'identité, le long de l'ancienne voie ferrée.
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