Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Publié par la tortue à plumes

IMG_2613.jpg

 

Une ruelle : juste la place pour passer surtout lorsque les poubelles sont sorties et alignées comme des sentinelles devant les portes. Une transversale étroite, piétonne, mal éclairée, un peu lugubre pour tout dire, mais avec un petit air mystérieux, quelque chose des siècles passés. Eugène Sue n’est pas loin. Depuis peu, quelques graffitis des mots d’amour de tendresse ornent un bout de mur gris, comme un ex-voto dans une église. Des branches d’arbres giflent la joue au passage. Au printemps, les glycines de toutes les couleurs se toisent d’un côté à l’autre, se rejoignent et finalement s’enlacent formant une pergola multicolore. Impasse, villa, avenue comme on veut la nommer à la numérotation en escargot. Les numéros ne se font pas face à face en rivaux orgueilleux, une logique toute scolaire. D’abord, le 1, puis le 2 et ainsi de suite, jusqu'au coude, là-bas au bout, où un «bis» apparaît, puis plus rien. Il faut remonter de l’autre côté pour trouver la suite. Plus d’un a dû s’y laisser prendre. Mais où est le 3 ? Il est vrai qu’arrivé au numéro 8, je crois que l’on a fait toute l’impasse. Mais qui a bien pu décider de cette numérotation ?

À chaque fois que je l’emprunte, une légère inquiétude au ventre, des vies me traversent l’esprit.

C’est pour tout cela que je l’aime. Car sous son air austère, j’imagine la vie qui doit se cacher derrière les portes sempiternellement fermées.

Au 2, une odeur de cannelle, grand-mère doit préparer les petits sablés en forme d’étoiles, d’élans, ou de père Noël pour les petits enfants qui viendront pour une fois, une fois, une seule journée dans l’année.  Elle est seule Marie Louise, seule dans sa maison, dans sa villa les Aubépines, au 2. Elle a emménagé, il y a quarante ans ou peut-être plus. Elle ne s’en souvient plus. Elle ne veut pas se souvenir. C’est si loin maintenant. Robert est mort. Les enfants sont partis. Hélène la première, puis Myriam et enfin son petit dernier Alain. Longtemps, elle l’a gardé Alain. C’est aussi celui qui est parti le plus loin, lui qui est parti dans le Midi pour le soleil et les palmiers et surtout pour Magali, qu’elle n’apprécie pas trop. Elle ne dit jamais de mal, si Bruno est heureux, elle l’est aussi, mais elle n’en pense pas moins. 

Quand il vient à Noël, il n’arrête pas de lui dire :

- Ah maman, si tu savais ce que la région est belle, le climat si doux et les palmiers et les mimosas si grands.

- Ah qu’est-ce qu’on est heureux là-bas, chez nous.

Pourquoi, ici ce n'est pas chez lui ? Elle ne comprend pas toujours ce que lui dit son fils. Avec ses filles, c'est différent, bien qu'elle ne les voit pas beaucoup plus.

Il ne lui demande jamais si elle est heureuse au 2 villa les Aubépines. Il ne veut pas savoir. Il n’a pas le temps de s’occuper d’elle, plus tard. Pour le moment, il s’occupe de sa vie, son boulot, les enfants et les caprices de Magali. Et puis ses sœurs sont plus proches. Il ne sait pas qu’il est son fils préféré. Elle n’a jamais osé lui dire. Elle a voulu aimer ses enfants de la même façon. Comme elle dit, je n’ai pas partagé mon amour je l’ai multiplié. Elle était heureuse à la naissance d’Hélène, pourtant elle sentait déjà que Robert aurait préféré un garçon. Lorsque Myriam est née, il a montré sa déception. Ils ne voulaient que deux enfants, oui, mais pas deux filles, alors ils ont essayé et enfin Bruno est arrivé. Ce n’est qu’après que Marie Louise a pu faire des nuits tranquilles sans être harcelée par son mari. Le fils avait donc été le point final de sa vie amoureuse. Elle ne s’est jamais posée de question. Elle a continué à aimer Robert et à tout faire pour qu’il soit heureux dans cette grande maison désormais si calme.

Un jour il s’occupera de sa mère, c’est sur. Il l’a promis. Bruno se l’est promis. Il n’a pas dit quand. Il sera peut-être trop tard.

Marie Louise sourit en regardant les photos accrochées au mur ainsi que les cadres posés sur la cheminée, où rient les cinq petits minois de ses petits enfants. Tous les matins, dès son petit déjeuner avalé, de son chiffon à poussière un peu élimé, mais toujours très propre, elle essuie les cadres très tendrement, et longuement comme des caresses qu’elle ferait à ses petits anges.

Ah, aujourd’hui il fait gris, il a plu, et elle a froid. Oh, elle ne met pas beaucoup de chauffage Marie Louise. Sa retraite est maigre. Les fins de mois sont difficiles. Quand Robert était là, c’était différent. Une belle situation, qu’il avait Robert ! Il était quincaillier, ils pouvaient se payer des vacances. Les enfants ont pu faire des études. Robert est parti, jeune trop jeune, suite à une longue maladie comme on dit de peur que le mot cancer leur saute à la gorge. Il a beaucoup souffert. Elle est bien triste encore malgré les années passées. Si elle avait pu le retenir, elle l’aurait fait, mais il n’y avait plus rien à faire. Le jour où ils lui ont dit à l’hôpital : «Madame, vous savez, Robert, c’est sans espoir». Elle est restée forte. Elle n’a pas pleuré et n’a pas craqué. Mais en rentrant chez elle, seule, la nuit déjà tombée, le chat, Maxou, qui ronronnait sur le fauteuil n’a pas compris pourquoi d’un seul coup elle s’était mise à hurler, elle, si calme, même lorsque les enfants petits lui en faisaient voir de toutes les couleurs, et, pourquoi elle s’était mise à pleurer. Ce soir-là il n’y avait pas eu de croquettes dans sa gamelle.

En remontant cette petite ruelle, on se demande comment ils font ceux qui habitent, villa des Aubépines, pour rentrer le soir chez eux sans la peur au ventre. Comme c’est troublant si l’on croise quelques passants, on ne voit jamais un habitant. Les seuls signes de vie sont les panneaux d’autorisation de chantier, mais jamais un ouvrier, et le soir parfois une fenêtre allumée que l’on devine plus qu’on ne la voit derrière les clôtures hermétiques de chaque maison. Tous calfeutrés derrière leurs grilles.

IMG_2612.jpg

Elle me fascine, cette villa des Aubépines, et puis mon imagination s’y sent à l’aise et à chaque fois, je pars vers d’autres destinations, le temps de la traversée. Avant il y avait un gros chien à la voix forte après le 5bis, à l’autre bout. L’immeuble a été évacué en attente d’une réhabilitation, depuis, le chien a disparu.

La villa des Aubépines est jetée là comme un pont entre deux rues bruyantes. S’il n’y a pas de chien, sauf de passage, il n’y a pas de chats non plus et les oiseaux ne chantent pas comme pour ne pas déranger ce petit univers enclavé au milieu des bruits de la ville, entre le commissariat et la gare.

Le chat de Marie Louise ne sort jamais, il est castré et vieux, il ronronne dans son fauteuil et est très heureux ainsi. Il ne chasse même plus les souris.

Quant à Marie Louise, ses petits sablés cuits, et les cadeaux des enfants bien emballés et étiquetés, elle remet les pieds dans sa chaufferette pour y trouver un peu de chaleur. Plus tard, Maxou sautera sur ses genoux. De toute façon, ce n’est plus la saison de faire un petit tour dans le jardin. Ici, l’hiver est rude.

Au printemps prochain, si elle est toujours de ce monde, elle reverra la luxuriante glycine mauve qui se disputera l’honneur, avec son grand lilas blanc, d’embaumer sa maison. Le forsythia aura déjà refleuri.

Il ne reste qu’une rose rouge, dernière trace de l’été, qui se dresse hésitante au bout d’une tige désespérément nue. Elle s’accroche à la vie. Combien de temps va-t-elle durer, assaillie par le vent, le froid, la pluie, le brouillard ? Marie Louise sait déjà que la fin est proche, le rouge commence à virer au marron. Le sécateur attend pour aller abréger sa décadence. Alors son Negresco, comme elle l’appelle sera entièrement dépouillé.

Il faudra de longues nuits sans sommeil avant que le printemps revienne. Sera-t-elle encore là ?

Qu’importe, Noël sera passé, elle aura vu ses enfants et ses petits enfants. Toute l’année elle revivra ces moments, l’ouverture des cadeaux et les cris de joie des plus petits. Elle se dira que Myriam a pris quelques kilos et qu’elle devrait faire attention et qu’ Hélène a une petite ride au coin de l’œil. La vie passe pour tout le monde.

Plouf, c’est l’automne, une feuille tombe et vient rejoindre le tapis de feuilles mortes, aux teintes mordorées, des feuilles humides de la pluie qui vient de tomber. Une glissade, j’ai bien failli finir par terre, un reste canin y était caché. Et le petit sac !! J’ai eu de la chance, j’accélère un peu le pas, il faut que j’arrête mes rêveries, car encore un peu et je vais être en retard à mon atelier, et çà ce n’est pas envisageable.

IMG_2611.jpg 

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article