Rome, la gare imaginaire
Rome. Pourquoi Rome. Elle ne reconnaît pas les rues. Au loin un fleuve, mais, est-ce le Tibre ? Une certitude, il y a du soleil et elle se sent légère dans sa petite robe d’été à fleurs roses.
Maintenant, elle est à la gare. Une gare qui pourrait être n’importe où. Une gare imaginaire ? Elle y attend un train, un long train, un train de nuit. Le train partira et elle rentrera chez elle. Où est-ce chez elle ? Sa tête ne lui renvoie pas l’information qu’elle souhaiterait. De toute façon, elle n’a pas le temps de réfléchir à ces détails. L’important est de monter dans ce train, d’y ranger ses bagages. Il est affiché sur le grand panneau lumineux pour 19H11. Il reste dix minutes.
Soudain, ses futurs compagnons de voyage, en un groupe compact, comme aimantés, lobotomisés, sans précipitation, mais déterminés quittent le quai, puis la gare et s’enfoncent dans la ville. Mécaniquement elle les suit. Les passants éberlués s’interrogent sur cette armada hétéroclite. Pendant ce temps-là, au bout de la rue, dans un silence paradoxal, une énorme machine s’avance, frôlant sans dommages, le bord du trottoir. On commence à distinguer la silhouette de la locomotive, d’un rouge profond, une locomotive au nez aplati, tel un bulldog. Suivent les wagons, rouges aussi, si nombreux qu’elle renonce à les compter. Elle se dit que le train va s’arrêter et qu’ils pourront y monter sans retourner vers la gare. C’est un peu fou, mais pourquoi pas. Elle prend son temps, elle s’arrête pour acheter un journal. Elle se retrouve, à l’improviste, face à sa mère, surgie inopinément. Il faut la prendre en charge. Elle ne marche pas. Alors, elle la prend dans ses bras , elle pour qui porter un pack de lait est déjà un fardeau. Elle s’étonne, car elle ne pèse pas grand-chose, un souffle de vent, le poids de quelques plumes envolées d’un oreiller crevé. Il ne reste qu’un volume décharné. Elle sait qu’il s’agit de sa mère instinctivement sans pourtant la reconnaître.
Le temps de se retourner. Le train n’est plus là, les passagers ont disparu. Elle se retrouve seule avec sa mère et son fils, lui aussi débarqué de nulle part. Elle a perdu ses bagages, il ne reste que trois minutes. La gare est au bout, elle la voit. La grande horloge aux chiffres romains égrène inexorablement le temps. Il est maintenant 19 h 8. Dans trois minutes le train va partir. Elle ne veut pas le rater. Elle se met à courir, cherche un raccourci, toujours sa mère dans les bras, son fils qui court derrière de ses petites jambes. La panique la prend. Elle n’y arrivera pas. Elle rentre dans une somptueuse maison pour la traverser comme s’il s’agissait d’un raccourci. Elle est certaine qu’ainsi elle se retrouvera directement sur le quai. Elle emprunte un escalier, elle voit des gens qui courent en dessous. Elle ne peut pas les rejoindre, l’escalier s’arrête là brutalement dans le vide. Elle redescend, elle cherche un autre escalier. 19 h 10, c’est presque fichu, elle remonte un autre escalier, elle est essoufflée, elle n’en peut plus, elle ne voit pas l’horizon, elle ne voit plus le train. Sa mère, son fils ont disparu. Elle est seule, si près du but, si près de son rêve. Juste si près. Trop tard, le train est parti. Elle a perdu ses bagages, elle est seule. Elle s’effondre et pleure. Elle était si contente de rentrer chez elle. Personne ne l’attend, mais qu’importe chez elle, elle est en sécurité. Elle enfilera ses pantoufles de velours noir bordées de ce curieux petit liseré blanc comme de l’hermine. Des pantoufles de reine qui lui tiennent si chaud aux pieds.
Alors, elle se servira un petit verre de vin rouge dans un joli verre à pied, et partira dans ses rêves les plus doux. Des paysages ensoleillés, des mers bleu turquoise, des tortues centenaires défileront devant ses yeux. Alors, elle lâchera tout. Les tensions s’envoleront, elle sera bien, elle avec elle, flottant entre rêve et réalité.
9 h 41. Elle se réveille en sueur. Elle n’est pas à Rome, mais dans son lit.
Ce n’était donc qu’un rêve…. Mon dieu comme elle est fatiguée.
Tout s’estompe déjà, et pourtant, il faut qu’elle se souvienne, qu’elle raconte. Quels sont les messages subliminaux cachés dans ce moment de rêve ? Il doit y avoir un message, le trouver ? Ou alors oublier. Ou le voir comme un nuage fugace très beau et qui pourtant a déjà disparu