pas de bol
Frustrée
triste
désespérée
épuisée
quelle conne !
C’est le mot juste
pourquoi, ai-je fait confiance au matériel !
Ma neurone a dérapé
commencer à me préoccuper
de mon cerveau
je ne sais pas
jamais ces jolis mots ne reviendront
un tourbillon
une force
les mots étaient beaux
l'idée lumineuse
parfois le dire
l'inspiration était revenue
pas de bol !
Il a disparu
impossible de le récupérer
je ne peux m'en prendre qu'à moi
les vannes viennent de lâcher
la tristesse
je sais ce n'est pas le bout du monde
j'aurais du me méfier déjà ce matin…
avec le pain grillé
et pourtant j'avais pris les précautions
vérifié à l'achat que les tranches étaient intactes
pas la peine de passer deux heures pour faire les courses
vérifier les dates, les OGM, l'huile de palme
pof ! il m'avait chopé
"fais attention quand t'achètes le (son) (mon) pain grillé !"
Ce matin ... c'est arrivé
oui, j'aurais du me méfier
les tranches étaient intactes
et boum, les mains qui lâchent
l'arthrose, la vieillerie
et ta vie qui te saute à la gueule
le passé est lourd
mais l'avenir de plus en plus court
et mes doigts gourds
augmentent mon courroux
bref ! après l'épisode des biscottes
et par leur faute
"enregistrer sous" !
Un texte que je voulais leur consacrer
littérature côté cuisine !
Et paf ! le bol est parti en sucette !
Il ne reste rien de cette tendre histoire
acidulée, tendre, drôle, aigre-douce
une tranche de vie
comme une tranche de pain grillé
qui trempe nonchalamment dans … un bol !
Le bol n'est pas cassé
si je pouvais retrouver les mots
si j'avais imprimé le texte
si j'avais sauvegardé
quelle conne !
Si, si, si, si,
personne ne connaitra jamais l'histoire de mon bol
tant pis, ou tant mieux
il attend dans le lave-vaisselle
inquiet de son avenir
plus de vingt ans qu'il m'accompagne
il méritait bien quelques lignes
mon fidèle bol !
PAUSE : j'enregistre mon texte !
ne plus perdre de textes.
Et si c'était lui qui avait décidé de saborder le texte ?
Rester dans l'ombre
Rester dans le buffet, triste toute la semaine
Seul dans le noir,sans lumière, gelé au sens propre
Lorsque le thermomètre descendait jusqu'à – 15° ou +
Des semaines entières à m'attendre
Des semaines entières avant de sentir la chaleur du liquide qui nappe les parois
Du thé, toujours du thé, que du thé et une goutte de lait.
Rien, il ne connaît rien d'autre que le thé
Pas de café, pas de chocolat
Ne pas mélanger
Du thé je vous dis,
Vous savez celui qu'elle aime
Ambré foncé parfumé
Son Assam sacré
Le liquide remplit mon corps rond et rassurant de bol,
Nappe mes parois
Me réchauffe ma faïence vieillissante, mais toujours vaillante
Elle s'y chauffe les doigts
me caresse avec douceur
Ces doigts qui cassent les biscottes
De son prince au ton cassant
Les chats ne font pas des chiens !
Ah bah oui ! c'est malin.
PAUSE : j'enregistre mon texte !
ne plus perdre de textes.
Je ne vous l'ai pas encore dit :
Je m'appelle BONJOUR.
C'est écrit dessus en lettres enfantines de toutes les couleurs.
Mon corps est potelé et parsemé d'une myriade de petits points colorés,
comme un magicien qui aurait déposé une pluie de petits confetti.
Près de mon nom : "BONJOUR" ! (j'aime le répéter : "BONJOUR" ! )
Une petite tête ronde avec des yeux rieurs, et deux pastilles rouges sur les joues.
Je suis persuadé que je suis le premier smiley ! smiley aux tons rouges et au regard enjôleur.
Je reprends le clavier. Trop dévastée pour le moment, et comme je la connais par cœur, je vais essayer de continuer à vous expliquer ma problématique.
Déjà, vous avez compris qu'elle m'avait acheté à l'époque de la fameuse maison de campagne dont elle parle encore.
J'étais sur un rayon de l'hyper Leclerc de Coulommiers, une sorte de grand hangar pas folichon, mal éclairé, entre les serpillères et les petites cuillères. Mon sourire l'avait séduite et j'étais allée rejoindre, les carottes et les yaourts dans le grand caddy grinçant.
Un moment de tendresse avant de passer à la caisse.
Je suis à elle seulement, gare à qui voudrait m'emprunter !
Pour lui être encore plus agréable, j'ai ourlé mon bord rond de bol, d'un large filet tout rouge assorti à ses lèvres.Et sans rougir, j'avoue que lorsque ses lèvres s'approchent pour venir prendre le liquide chaud et ambré, j'ai comme des frissons qui parcourent mon petit corps de faïence.
Elle me caresse, elle aime cette volupté du matin, elle fait durer ce plaisir et moi j'aime ce partage.
Cependant, je sens que quelque chose ne va pas bien en ce moment. Je sens que mon avenir s'annonce morose.
Par précaution, j'ai procédé à une inspection complète de ma petite personne. Je me trouve plutôt en grande forme pour un vieux bol. Pas de défaut majeur. Juste une microfêlure au pied, et une grande balafre noire thé qui zèbre tout mon intérieur, sans aucune conséquence néfaste. Bref, tout irait bien, si elle n'avait pas constaté que mon intérieur, autrefois vernissé était devenu tout terne. Et là, je vois qu'elle pense que ce n'est peut-être pas très bon pour sa santé. Autant vous l'avouez je suis inquiet et triste.
Je répugne à me retrouver jeté vivant, tel un vulgaire détritus, dans le grand container marron. Cette idée m'est insupportable. Je préfèrerais me suicider si mon destin devait basculer.
Et comme je ne peux pas compter sur mes potes d'étagère, pleutres comme ce n'est pas permis ! il faut que je m'organise tout seul.
D'ailleurs, je vais balancer ! j'en veux un peu au bol vert à grosses côtes qui partage son thé et ses lèvres. Et pourtant il devrait se méfier. Bien que beaucoup plus jeune que moi, et arrogant,je le trouve en très mauvais état. Enfin l'intérieur. Strié de noir, il pourrait bientôt ne plus lui plaire non plus. Sa jeunesse lui semble un atout ! ah ah ah ! ces jeunes qui croient tout savoir ! ah ah ah ! je me gausse !
PAUSE : j'enregistre mon texte !
ne plus perdre de textes.
Sans le putain de lave-vaisselle, je suis persuadé que mon corps ne serait pas si décati et qu'elle ne se poserait pas la question. Bref ! il n'est plus temps d'ergoter, mais de réfléchir et bientôt d'agir.
Une seule solution pour quitter dignement ce monde : le suicide. Oui, c'est cela, me suicider pour éviter le grand container de mon vivant. En miettes, rien n'aura plus d'importance.
Attendre le moment propice, à la fin du p'tit déj, lorsque je serai redevenu froid, qu'elle aura fini de poser ses lèvres gourmandes, que chiwawate aura quitté la pièce ; ne pas lui faire de mal, sa petite langue qui lèche avec délicatesse mes petits confettis ne mérite pas que je la fracasse au passage, sans compter que je pourrais rater ma sortie ! handicapé à vie, la pire des humiliations pour un vieux beau bol.
Me préparer, sans bruit, m'approcher du bord du plan de travail, une chance, beaucoup plus haut qu'une table, le fracas sera plus conséquent ! et puis par des petits mouvements de mon pied m'approcher et m'approcher encore jusqu'à l'instant fatidique ou plus aucune loi de l'équilibre ne pourra me retenir, alors dans un grand bruit je m'exploserai en un feu d'artifice sur le carrelage.
Elle hurlera, elle invectivera la terre entière en une bordée d'injures dont elle a le secret ! elle regardera mes fragments éparpillés un peu partout, des petits, des très petits, des éclats, des gros morceaux, mon "bonjour et mon minois" seront, allez savoir, intacts, s'il en est ainsi, elle est capable, cette folle, de conserver le morceau, en souvenir de sa maison, etc., etc. je vous passe les détails de sa névrose.
Et puis, dans un hurlement et une pirouette maladroite, elle ira chercher le balai et avec la rage naturelle qui la caractérise, elle me propulsera au fond de la pelle, me déposera dans la petite poubelle avant d'aller me jeter sans ménagement dans le grand container marron, beurk ! j'ai déjà froid rien que d' y penser. Mais c'est mon choix, je préfère cela au déshonneur et à l'abandon.
Elle croira, comme l'histoire de la biscotte, que ses mains l'ont trahi ! et pour une fois elle aura tort, je serai seul responsable de mon destin.
Un autre bol, supeflu, je vous le dis, viendra se ranger dans la vitrine à gauche, mais oui vous voyez où je veux dire, coucou ! c'est moi ! bonjour !
Et puis elle fera son deuil, en attendant quelques jours ou quelques semaines avant d'utiliser mon successeur. Et je sais déjà qu'elle me regrettera ! ah ! que j'aime cette tortue excentrique et disjonctée.
Demain ou après-demain... Psychologiquement me préparer. Le passage à l'acte va me demander un certain doigté !
PAUSE : j'enregistre mon texte !
ne plus perdre de textes.
Le texte est enregistré
Le bol est encore vivant
Les biscottes sont cassées
Le texte n'est pas revenu
Je vous souhaite le
"BONJOUR"
malgré tout !
tralala !!!