les fourmis volantes
Il est l’heure. L’heure de la promenade. Qui tient l’autre en laisse ? Mieux vaut laisser la question sans réponse.
Nous sortons d’humeur joyeuse après toutes ces journées moroses et pluvieuses qui m’insupportent et me dépriment de façon irraisonnée mais qui surtout mettent mes articulations en délire.
Un rayon de soleil, la pluie disparue, mes os retrouvent un fonctionnement quasi normal. Que c’est bon. Je peux reprendre le fil de ma vie.
Premières "reniflettes" dans l’impasse. Tout va pour le mieux.
La chaleur nous atteint, profitons-en.
Soudain, mon regard est attiré par une fourmi, pas une fourmi de jardin qui cavale sur ses petites pattes à la recherche d’un abri, de miettes de pain, de tout un petit monde qui la nourrira elle et surtout sa reine et sa suite.
Non, je viens de voir une grosse fourmi noire, mon pied l’évite, mon œil intrigué continue sa traque, une autre apparaît, semblant zigzaguer à la recherche de je ne sais quoi, puis une autre, et une autre. Oh ! Celle ci a des ailes, fourmis volantes, mauvais présage, le beau temps ne va pas durer longtemps.
Je me souviens, dans ma campagne, chaque été, plutôt vers le quinze août, mais tout change, les saisons sont déstructurées, le soir, nous retrouvions notre chambre noire de fourmis volantes. Des centaines agglutinées qui étaient entrées par effraction, sans que nous n’ayons jamais su comment. Elles étaient là conquérantes, pas encore agressives.
Mon traitement chimique en venait à bout, même si je n'en n'étais pas fière, laissant des centaines de cadavres, les pattes en l’air, le regard vide, l’aile éteinte, répandus sur le couvre-lit, dans les rideaux, gisant sur les tapis, enfin n’importe où sans aucune retenue.
L’épisode éphémère était clos, il nous fallait attendre un an pour que le spectacle se reproduise. D’où venaient les remplaçantes puisque toutes avaient péri, enfin c’est ce que je croyais.
Quel mystère les fourmis, quelle « civilisation ». On comprend que beaucoup se soient penchés sur leur univers, si riche, si organisé. Le jour où les fourmis se révolteront nous ne pèserons plus grand chose. C’est pourquoi les fourmis que je vois ce soir m’angoissent. Ce n’est pas encore les oiseaux d’Hitchcock mais qui sait un jour…
Notre promenade continue, elles sont toujours là, pas de plus en plus, mais bien réparties, dans chaque rue que j’emprunte, elles cernent le quartier, elles vaquent, elles vont et viennent. Escalade d’une vieille chaussure abandonnée dans un caniveau, glissade sur une plaque de fonte ductile, comme il est écrit dessus.
Une autre descend un trottoir pour aller renifler une déjection canine. Je n’essaie pas de les éviter. Par moments, une passe « ad patres » sous ma ballerine. D’ailleurs, sur le trottoir des myriades de petits, tout petits points se succèdent. Des victimes de chaussures indifférentes, ou, comme je le vois, des roues d’une poussette de bébé.
« Mais, qu’est-ce qu’il y a comme fourmis volantes, ce soir ! » s’exclament de vieilles dames en me croisant.
Zut, d’un coup, je sens sur le gras de ma cuisse une petite démangeaison, pof ! Un bouton explose ! Oh ! Une fourmi aurait osé !
Encore, un croisement de rue, encore des fourmis, et puis une autre rue, et une autre. Elles sont là, il y en a partout, je commence à vraiment me sentir angoissée et si elles se rebellaient. Autour des jardins de la mairie, elles explorent les confetti jetés, dans un moment d’égarement, par un couple juste marié. Ah ! S’ils savaient, ils auraient jeté des confettis noirs.
Rien ne les arrête, moi j’en ai assez. J’abrège la promenade. Retour vers mon impasse. Bon signe, il y en a mais elles se dirigent toutes dans le sens opposé de ma maison.
Je commence à respirer. Vite la clef dans la serrure. Pas d’ennemie à l’horizon.
Oh non !!! Une fourmi ailée barre le seuil de la porte du jardin. Il faut que je la contourne. Ça ne finira donc jamais.
Ouf ! j’ouvre enfin la porte de la maison, j’ai gagné la bataille, je suis chez moi, plus rien ne peut m’arriver.
Tonnerre de Brest, saperlipopette, Bachi-Bouzouk, mondo boia. Elle est là devant moi au milieu de l’entrée, elle me nargue. Je lâche la laisse, le chien, tout et pschittttt !!! D’un coup d’aérosol, elle n’est plus.
La nuit est tombée, le calme est souverain, je sors arroser mon jardin.
Le choc, en ouvrant la porte, une colonie de fourmis a envahi les murs de la maison. Au secours, je suis cernée, certaines audacieuses me sautent dessus. Une claque et hop, out ! Je ressors l’aérosol, le massacre peut commencer. Un vrai fourmicide ! Pourvu que les ligues de défense des animaux ne me voient pas. Pas une ne me résiste. Je vais les débusquer dans la moindre fente du mur. Par prudence, je referme la porte et les fenêtres et monte enfin me coucher. Vais-je en faire un cauchemar. Peut-être pas, mais qui sait…
Il paraît qu’elles étaient au Stade de France, aussi…
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