la dernière ligne droite
La dernière ligne droite a écrit Muriel. Oui, tu as raison, on peut le dire comme cela ! Encore que j'y apporterais quelques réserves. Il s'agit plutôt d'une dernière ligne droite sinusoïdale, tordue, ambigüe, difficile, caillouteuse et poussiéreuse !
Donc pas toute droite. C'est curieux, le relief que prend cette expression, de premier abord, très banale à ce moment précis de ma vie. Oui, c'est la bonne expression. Mais mon dieu que le chemin qui va m'amener au dernier geste de la fermeture de la porte, la traversée du jardin et du portail va être difficiles.
Le cœur serré en permanence, je vide ma vie, je vide mes boyaux, je vide mon passé. Je manque d'air, je manque de recul, je manque d'imagination. Les mains dans la poussière, je déchiquette les oreillers, les draps, je les vois partir en fumée doucement, sans bruit, sans odeur. C'est très étonnant. Le tas de cendres de ma vie grossit, il devient terril. Des pages des centaines de livres pas encore finis de brûler me narguent. L'arbitraire, j'en ai sauvé quelques uns, les autres, de la fumée. Un «libricide». Les VHS, les cassettes audio : même sort. L'horreur du temps qui passe de la technologie qui nous engloutit. Lorsque je pense à l'argent qu'il a fallu pour tous ses achats pour finir en fumée, devenus vains et inutiles. Je vais peut-être passer au Kindle. Je n'aurais plus à brûler de livres, plus cette odeur d'humidité, les traces de doigts sur les pages, les cornes à certaines pages, très peu, je n'aime pas leur faire mal. Quelques sacs sont dans mon garage, ils sont sauvés pour combien de temps ? Jusqu’au prochain déménagement. Je ne peux quand même infligé cet exercice à mon fils.
Je viens de sacrifier des dizaines de bouquins du Reader's Digest. Je déteste cette société. Je me suis battue avec ma mère pour qu'elle ne cède pas. Elle avait acheté des dizaines de libres, très et trop chers pour sa petite retraite, inutiles. Jamais lu. La majorité encore sous le plastique. Ils sont à quatre vingt quinze pour cent passés au feu. Quelle horreur !! Ce fut un arrachement. Mon fils a partagé hier avec moi ce moment très compliqué. Il m'a aidé beaucoup. Demain ce sera peut-être le Kindle ou l'Ipad, en attendant une nouvelle technologie. Maintenant, je vais ranger ma petite bibliothèque rescapée après avoir changé les meubles quand même ! Trop petits. Je me suis aussi rendu compte à cette occasion que je préférais les poches, moins chers, moins lourds tous au même format comme des petits soldats bien sages. Hélas tout n'est pas édité en poche. Et de nombreuses perles nous échappent. Il est vrai que j'ai brûlé un certain nombre de navets dont je pourrais avoir honte.
J'ai jeté les bouquins. J'ai brûlé la literie, personne n'en veut, pourtant elle était en excellent état ! Les gens n'ont rien mais ils chipotent ! Bizarre
J’ai cassé la vaisselle de ma mère. Pas en très bon état c'est vrai. Par contre, j'ai rapporté l'immense service en porcelaine des années 30 de ma grand-mère. Je sais déjà que je n'en ferai rien. Je préfère mes grandes assiettes Ikea. Il faut dire que je reçois tellement peu que des assiettes en carton suffiraient. On ne choisit pas toujours ce que l'on aimerait faire. Ou alors le prix est si lourd, que j'en ai marre de pleurer à chaque fois que je reçois parce que je suis la seule actrice et que des vents contraires soufflent sur la maison à ce moment là.
Le vent souffle, les sacs m'attendent. Il faut que j'en vide quelques uns avant de repartir, remplir de nouveau camionnette et voiture. Fin octobre ce sera fini. Enfin presque, il restera un bout de terrain puis après plus rien. J'attends, je ne sais pas comment je vais réagir. Je suis imprévisible parfois. Libération, liberté, malaise, soulagement, douleur, regret. On verra. Pour l'instant, c'est le temps de l'action, de la fatigue. A plus, je pars louer une nouvelle camionnette !