la bulle
Je suis entrée dans une bulle. Une grande bulle, digne mais tourmentée par de gros soucis personnels. Imprévisibles, pas forcément indésirés mais brutalement. Pas d’ultimatum, pas de seconde chance. Pourquoi une telle décision aussi brutale, aussi définitive, sans se soucier de l’autre. Ne même pas vouloir entendre. Ne pas savoir écouter. Trop de certitudes, d’impudence masculine. Comme un enfant qui pique une colère subite, sans signes annonciateurs et qui déclenche un cataclysme. Là, c’est l’enfant qui va en pâtir.
Décision murie ? Je ne sais pas, ce n’est pas ma vie, elle est déjà assez compliquée et puis je suis très extérieure.
Mais, je voulais essayer de comprendre, de partager. J’avais ce besoin fou de vouloir écouter.
N’étais-je point un Don Quichotte se battant contre les moulins à vent ? De quoi allais-je encore me mêler ? Pourquoi vouloir, pour l’autre. Nous vivions indirectement des situations communes qui nous dépassaient. Des absences communes que nous avons du mal à comprendre. Les âges sont différents. Les questions les mêmes. La jeunesse permet certainement un espoir plus grand d’une suite plus lumineuse, plus harmonieuse, plus épanouie. Les années passant l’effort est plus grand, les chances plus tenues, sauf à vouloir rester seule.
Et voilà comment j’ai atterri, dans une bulle, dans une bulle de sincérité, de tendresse. Je me suis faufilée aussi discrètement que possible, au moins je l’espère en essayant de ne pas trop déranger. Ne pas être en avant, juste être une présence. Au cas où ce puisse être utile.
Je suis restée quatre jours et un peu plus dans cette bulle. Je m’y suis sentie bien. Il y a avait de belles ondes. Une bulle maltraitée mais battante, lumineuse, irisée d’espoir, malgré les semaines à venir compliquées. Nous avons beaucoup discuté n’hésitant pas à vider un joli vin allemand, comme je les aime, peu titré, mais d’un jaune plein de force, un parfum incroyable de terroir, de fruit, comme des gros grains de raisin que l’on croquerait à pleines dents. Une bouteille toute plate qui ne faisait pas sa taille ! Elle ne nous a pas fait peur. Jusque très tard dans la nuit, avec la lune qui nous protégeait complice, souriante et apaisante. Nous sommes restées dans le reste de tiédeur de la journée, sur la terrasse et ne nous sommes quittées que lorsque la dernière goutte a été finie.
Dans cette bulle, je réussissais à me lever, à filer sous ma douche sans attendre le milieu de l’après midi, et surtout à être prête tôt, pour moi, pour profiter de la vie.
Nous nous retrouvions déjà sur la terrasse pour savourer un délicieux petit déjeuner accompagné d’un pain croustillant qui va me manquer. Le soleil nous accompagnait déjà. Tout était réuni pour passer de bonnes journées. Et elles le furent. Visites, balades, shopping, restaurants. Que du bonheur dans une ville que je ne connaissais pas. Le choc de la visite du Museo de la Reina Sofia et le Guernica. Je n’ai rien vu venir. Une émotion s’est emparée de moi que j’ai eu beaucoup de mal à maîtriser. Comme d’habitude, je ne sais pas pourquoi. Je ne suis pas du tout une fan de Picasso, je connaissais l’œuvre, comme tout le monde, par la télé et les reproductions. Mais de me trouver face à l’œuvre originale, majestueuse, immense, dans une si grande salle, c’était comme rentrer dans une église. Un moment unique de recueillement, de communion. Les larmes me sont montées aux yeux, vite refoulées, le plexus bien bloqué. J’aurais pu passer des heures assises devant à le contempler. Il y a tant de détails, tant de douleur, de souffrance, de vie. Quelle œuvre, quelle splendeur. Ne pas voir le Prado après une telle émotion, n’a aucune importance. C’était l’œuvre à voir et je l’ai vue.
Ma dernière et belle émotion a été à l’aéroport le double au revoir et les bisous de la petite princesse qui aujourd’hui fêtait ses onze ans.
Je tairai ton nom, ta vie va être bousculée, elle l’est déjà. J’espère que tu n’en souffriras pas trop. N’écoute pas les sirènes.
L’avion vient de se poser à CDG. J’écris dans le noir, la lumière dans la cabine a été éteinte pour l’atterrissage.
Il ne fait que 14°, mais toutes les lumières multicolores de l’aéroport nous font des clins d’œil et semblent s’excuser des trois quarts d’heure de retard dû à la grève anticipée des aiguilleurs du ciel. Shame on you.
Il faut que je quitte ma bulle. Merci pour ton accueil. Je suis, quant à moi, encore toute étonnée d’avoir fait ce voyage seule. J’en suis très fière. Tout n’est donc pas perdu.
Garde le cap, tu es sur le bon chemin, il y aura des obstacles, mais je sais que tu y feras face. Tu as les ressources nécessaires pour rebondir. Ta petite princesse à tes côtés. Je vous embrasse. Merci pour tout ce que vous êtes, et pour ce que vous avez partagé avec moi.