ASSAM
Ce pourrait être le nom de mon amoureux.
Il fait partie de mes passions, de mon quotidien.
Je l’aime.
Nous ne sommes amis que depuis quelques mois
Longtemps, je l’avais espéré
Longtemps, je l’avais rêvé le nez dans mon bol
J’avais dû le croiser dans une autre vie
Vite essayé, vite oublié
Je l’avais retrouvé comme une évidence
C’était en septembre, c’était à Madrid
Il se terrait discrètement, timide, tout petit, sur une étagère dans la grande cuisine blanche et lumineuse de Sophie
Il était là avec les infusions, à côté, pas de concurrence, unique dans sa tunique grisée
Une grande marque londonienne l’avait habillé
Elle me l’avait proposé
J’avais essayé
Mes sens en furent bouleversés
Mes papilles hurlaient de bonheur, envahies d’un émoi rarement atteint
Elles n’en revenaient pas
Elles étaient habituées à subir les assauts répétés, d’un thé noir et puissant, plus volcanique et agressif
Le bol est grand, il dit «bonjour». La bouilloire en inox brille à côté, l’eau chaude en réserve pour remplir la Salam-thé et son capuchon molletonné, quand elle sera vide, ou le thé froid.
Avez-vous déjà vu quelqu’un qui passe plus de temps pour son petit déjeuner que pour ses autres repas ?
Pas de délation, mais j’en connais, enfin au moins une. Elle n’est pas loin. Ses doigts courent sur le clavier blanc, contrastant avec son Assam.
Matin, cuisine, thé, prendre son temps, les maîtres mots de ses matins.
Ses nuits sont difficiles, et ses réveils encore plus. Maintenant qu’elle a l’éternité devant elle, le matin prend des allures d’alanguissement prolongé. Prolongé, mais actif. Un bouquin d’une main, l’ordinateur de l’autre, elle met en route son cerveau. Les autres tâches viendront après, ou ne se feront pas. Son matin est sacré, c’est pourquoi elle abhorre les rendez-vous, les activités, toute action qui l’oblige à sortir de chez elle tôt, même moins tôt. Elle se sent volée de ses et ces quelques heures de réflexion, de méditation, de recueillement. Elle refait le monde. Son monde si agité. Son voyage immobile, un œil sur la vie à l’extérieur.
Elle aime le matin, revivre sa veille, son jour d’avant. Se remémorer les bons moments. Analyser ce qui a cloché, rechercher les failles, les phrases, les mots qu’elle aurait dû taire, ou qu’elle aurait dû dire pour apaiser, pour aider ou pour se sauver. Les mots qu’elle aurait aimé entendre. Les mails qui ne sont pas arrivés. Ce qu’elle aurait pu ou du faire. Ne pas se contenter, progresser, avancer, apprendre, évoluer, bouger, solidement assise, dans l’immobilité de la chaise haute, les pieds dans le vide cherchant une respiration.
Assam, tant de douceur violente !!! ah ah ! un nouvel oxymore pour ma collection.
Oui, de la douceur, de la force, de la rondeur, de l’ambre, du cuivre, de l’or. Du mystère, car ce thé ne se révèle pas à la première gorgée. Tel un beau vin, il demande à être découvert.
Et l’œil, rien que le plaisir de l’œil.
Ce thé se mérite. Difficile à trouver dans mon périmètre. J’ai souri lorsqu’à Monop, j’ai effectué, avec réticence, mon premier achat. Les deux marmottes, curieux ! C’est ainsi que l’histoire a commencé.
Depuis je fréquente de grandes maisons pour m’approvisionner de ce breuvage si particulier. J’aime le voir avant de l’acheter. Je le hume avec délicatesse avant de le faire emprisonner dans de jolis sacs, toujours noirs, quel que soit le fournisseur, sa couleur. Sa catégorie : thé noir. Tellement différent. Il est vrai qu’il est le seul à ne pas être issu de : camelia sinensis sinensis, mais de l’assam assamicus, plante hybride, importée de Chine en Inde, je crois, par les Anglais qui voulaient produire leur propre thé. J’aime aussi son histoire.
À d’autres moments de la journée, je choisirai dans l’arc en ciel de vos couleurs, du thé vert, du thé rouge, du thé blanc, du thé jaune. Jamais le matin. Un parfum de jasmin, de violette au gré de ma fantaisie. Un soupçon de vanille. Tous les sens en éveil.
Un petit secret. Lors de mes voyages, la brosse à dents et le thé sont la tête de liste des choses à ne pas oublier. Jamais sans mon thé !!!
J’aime voir les grandes feuilles qui se gonflent de plaisir et d’orgueil au contact de l’eau juste glougloutante et filtrée. C’est un spectacle sans cesse renouvelé dont je ne me lasse pas. Les petits plaisirs de la vie. La jouissance gratuite et salutaire. Les mauvaises pensées ne peuvent pas arriver devant ce cadeau de la nature.
C’est pourquoi je préfère le thé au café. Même si Georges est dans ma cuisine. Le café est maltraité, torréfié, puis écrasé, réduit en poudre. La palette des couleurs est réduite. Un thé c’est l’expression de la vie simple. J’avoue, malgré tout, que croquer un joli grain de café est un vrai plaisir. Souvenirs d’enfance. La boîte en alu «café» près du gros sel et du sucre. Brouter une feuille de thé c’est franchement moins fun !!
De l’eau chaude des feuilles de thé. L’infusion plutôt que la filtration, ou l’agression de l’eau sous pression qui le fait éclater. Le thé est libre. La récolte du thé est plus douce que celle du café parfois. Et puis l’effet de la théanine, je crois, doit y être pour quelque chose. Laissez-moi rêver. La vie est belle.
Mon thé refroidit, je vais remplir la théière, mon voyage continue.
Assam mon bel Assam !!!
link (thé Assam)