mais qu'y avait-il dans mes rêves de petite fille ?
Trois fois j'ai vu les lumières
à quelques mètres à vol d'oiseau
à travers les fenêtres
entre chien et loup
et je n'ai rien fait
trois fois j'ai vu les lumières
mais je me suis endormie
sans penser au lendemain.
Et pourtant…
au matin, l'infirmière t'a découverte étendue dans ta cuisine
inconsciente
le reste des barrettes de la boîte de bromazépam,
seul médicament que nous t'avions laissé en libre accès,
répandu à tes côtés
comme des petits bonbons blancs et leur boîte verte addictive.
Pompiers, Samu, direction Hôpital,
pas d'acharnement thérapeutique !
jamais je n'ai su
jamais je ne saurai.
Pourquoi ? C'est bien la question !
Je t'appelais maman,
un soir je n'ai pas jugé utile
de vérifier que tout allait bien
j'avais confiance !
Pourtant les médecins t'ont sauvée,
cependant tu n'as pas voulu
aller plus loin,
je pense, doux euphémisme, que tu n'avais plus envie de vivre,
consciemment ou inconsciemment
quelques semaines plus tard
sans jamais quitter l'hôpital
tu t'es envolée vers les étoiles
oubliant de respirer pour retrouver papa
qui te manquait si cruellement.
Tu n'attendais, et lui aussi, je n'ai aucun doute
de vous retrouver au diapason de votre amour
et de votre tendresse infinie.
Et moi, je ne comptais pas ?
et ton petit fils que tu adorais ?
tu nous as laissé sur le bord du chemin
avec notre chagrin
et mes questions toujours sans réponse.
Suis-je coupable de négligence ?
j'ose penser que non
et moi qui croyais que tu étais dans tes rêves ce soir là
C'est un cauchemar dont je n'arrive toujours pas à me défaire.
Peu de temps après nous avons déménagé.
Le rose sur les ongles voilà comment elle était
jusqu'au dernier jour car tu étais coquette.
Il y avait tes ongles manucurés et laqués de rouge
et le coiffeur chaque semaine
comme la messe du dimanche,
il y avait ton apparence chaleureuse comme un iceberg
toujours droite comme la justice
ou comme un " I", c'est selon !
Jamais un faux-pli sur tes chemisiers de soie.
Il y avait :
tes tailleurs, vestes cintrées et jupes droites
aux couleurs lumineuses et flamboyantes,
tes escarpins de daim à hauts talons
avec lesquels tu trottinais d'un pas allègre
du matin au soir, du métro au bus,
tes jambes fines et fuselées gainées
de bas aux douces couleurs de pêche,
tes chapeaux et leur voilettes
faits sur mesure et assortis à tes tenues
Il y avait :
ta pudeur
ton éducation rigoriste et religieuse
ta famille nombreuse et très pauvre
Il y avait eu :
la guerre
les maladies
les chagrins
et Simone, ta petite soeur adorée
tuée le jour de la libération de Paris
dont tu hurlais le nom
dans ta cellule à l'hôpital Tenon
attachée au bas-flanc de métal froid comme la mort
entre deux électrochocs.
Et il y avait moi,
qui a l'âge de huit ans
restais à la maison
surveiller que l'attrait de notre fenêtre du quatrième étage
ne serait pas trop fort pour toi !
Ta vie mériterait un livre
les souffrances, les privations
mais aussi ton orgueil
Ya-t-il un rapport entre eux ?
Un jour peut-être…
En attendant je te retrouve dans le grand renne,
seul de tes tableaux, rescapé de l'incendie
du château de Valençay. Tu avais du talent.
Un jour,
sous des gerbes de fleurs,
nous avons choisi c'est écrit,
que nous mélangerions nos cendres,
délicatement déposées,
sur ce qui restera de vous.
Enfin, nous nous retrouverons
ce sera la paix.
Il m'aura fallu toute ma vie
pour gommer tous les malentendus
tous les non-dits
toutes les rancoeurs
et mes éternels questionnements.
Il restera un vide énorme,
en pensant que tous mes souvenirs heureux, quoi que je fasse,
et grâce au ciel j'en ai des constellations d' étoiles dans les yeux,
seront sans toi.
Nous nous sommes croisées,
j'ai grandi trop vite
par la faute de tes maladies
ma jeunesse m'a été volée
mais j'ai aimé
et jusqu'à mon dernier souffle
rien ne pourra me distraire
de mon besoin d'aimer
de rire
de sourire
de partager
de rêver
contre vents et marées.
Rien ni personne ne pourra me distraire,
moi être humain,
des vibrations que je ressens à vivre.
Si seulement nous avions été complices,
si seulement nous avions réagi de façon moins épidermique,
moins égoïste, et je sais où se situe l'égoïsme, mais est-ce vraiment le bon mot ?
Avec des si…
Nous ne nous sommes pas reconnues
il n'y a rien de pire
et pourtant quand je pense à toi
l'émotion me gagne
et les larmes coulent sur mes joues
Pourtant le verbe aimer n'arrive pas à poindre.
Souvent je me demande :
"mais qu' y avait-il dans mes rêves de petite fille ?
un besoin d'amour révélé?
peut-être dans un autre ailleurs
pourtant rien ne presse…
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"mais qu'y avait-il dans mes rêves de petite fille ? "
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14e concours d'écriture Gens du Monde - ENE
sur le thème : "dans tes rêves"
texte lauréat :
GRAND PRIX catégorie SOUVENIRS
des 9 premiers grands prix toutes catégories
édition du collectif ENE - Gens du Monde à venir
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