si seulement je pouvais pleurer
Si seulement je pouvais pleurer
si seulement je pouvais t'expliquer
si seulement tu pouvais m'entendre
si seulement tu pouvais comprendre
si seulement je pouvais t'accrocher
d'un mot, d'un regard
mais tu fuis
tu me fuis
tu te fuis
tu fais semblant
et tu me crois dupe
tu fais semblant
et j'en crève
tu fais semblant
tout ceci n'est pas nouveau
tout ceci fait partie de notre vie
notre vie qui n'aurait pas dû être notre vie
cette vie commune n'était pas pour nous
nous aurions pu être amants
et ce paradis nous aurait suffi
certainement que nous étions conscients
certainement que nous nous aimions
autrement rien n'aurait été possible
mais tant d'évènements
tant de tiers ont influé nos choix
tant de tiers nous ont bouffé
le bélier est fort
il peut aussi se laisser bouffer par le lion
et s'en sortir meurtri de partout
boursouflé de cicatrices au coeur
boursouflé de rancoeurs
boursouflé de non-dits
non-dits tellement maudits
nous étions jeunes
nous n'aurions pas dû aller au delà
mais il fallait affronter l'adversité
et ne pas leur laisser la victoire
l'adversité a un nom
l'adversité c'était maman
elle ne voulait pas
et je ne pouvais pas lui faire ce cadeau
alors, j'ai continué
pourtant j'aurais eu quelques motifs majeurs
pour fuir…
d'autres l'auraient fait,
je n'ai pas toujours été libre dans ma tête
il m'aura fallu cette vie
bouffie de douleurs
bouffie de souffrances
endolorie de non-naissances
ceci n'a pas de nom
et d'autres phénomènes
aussi peu amènes
Si c'était à refaire ?
je crains la réponse
je le referais ?
je ne le referais pas ?
la réponse restera suspendue
dans le vent qui couche les branches d'arbres
dans mon crâne qui ne peut oublier
dans mon crâne qui ne peut lutter
et toi, dans tout ça
serais-tu en train d'oublier ?
je ne sais pas
je ne le souhaite pas
nos vies sont devenues fragiles
nos vies ne sont pas encore inutiles
mais le temps passe
et qui sait ce que nous réserve demain
ce qui est fait est fait
tout ne peut se balayer d'un revers de main
si seulement, il y avait les calins,
si seulement, il y avait la douceur des matins
si seulement, il y avait ta main dans ma main
si seulement, il y avait des sourires et des rires
calme plat, mer étale, aucun horizon
aucun navire pour m'emporter
et oublier ça et le reste
si seulement, tu acceptais de m'accompagner
de sortir un peu de ton bunker
dans lequel tu te protèges de toi
et des autres
dans lequel tu attends la reprise des concerts
ou peut-être pas
ou peut-être oui
il est vrai que ces longs, trop longs derniers mois
ont mis nos vies à mal et fait ressortir
ce qui n'aurait pas dû
des amis sont partis
des amis ont vu la faucheuse de très près
comment rester insensibles
il m'avait dit "tu n'attraperas pas le covid"
il avait raison
mais je crois qu'il y a eu 1001 façons de le vivre
la peur au ventre,
en redoutant le lendemain
et les chiffres implacables
et l'inconnue qui bouleversait nos certitudes
et nos incertitudes si nombreuses,
rythmée par les applaudissements
puis par la deuxième vague
et les confinements
les privations du souffle chaleureux sur nos joues
des êtres aimés
des câlins sans fin
les larmes au bord du coeur
j'aimerais tellement pleurer
pour me libérer
rien à faire
elles ne viennent plus
pourtant elles me soulageraient
du poids insupportable
de ces temps entre parenthèses
de cette vie sans vie
et puis, voilà qu'un grand artiste meurt
pas loin de mon âge
et pour la première fois
je prends conscience
que peut-être, je vis mes derniers mois
mes dernières années
et ça ça ne passe pas.
Il était un peu l'étendard de l'Italie,
celle que j'ai aimée
celle des chanteurs à textes
et aux voix improbables et incroyables.
Une vie de carte postale
l'odeur de l'origan
et les papilles ravies par l'acreté
de l'huile d'olive qui coulait dans ma gorge
sans oublier l'immense Saint François d'Assise
et le souvenir de mon papa, lourdement handicapé
qui était là pour entendre en italien des voeux
que je savais sincères mais remplis d'inquiétude.
On me dit tu es pleine de joie,
d'espoir, d'idées, de projets
tu ris, tu es allègre
c'est vrai !
ne serait-ce pas le maquillage de la réalité ?
de tout ce que je cache derrière cette bonne humeur
derrière cette envie de vivre
derrière cette peur de ne plus vivre
non pas parce que je suis irremplaçable
ce serait d'une vanité sans nom,
et la vanité ce n'est pas pour moi
pas plus que les faire-semblant
pourtant
je m'accroche car il y a toi, mon fils préféré
qui est tout pour moi.
Tu es ma vie et pour toi,
je vais continuer aussi longtemps que je pourrai
mais tu devras être indulgent car ta mère
n'a plus six bras, six mains
elle n'en a plus que deux
dont le seul bonheur est de pouvoir
les serrer autour de ton corps
de celui qui sera toujours mon enfant
mon trésor, ma plus grande fierté,
J'arrive au bout de ma réflexion du jour
lourde, pesante, interrogative,
négative et positive
le yin et le yang
un samedi tardivement matinal
comme je les aime
comme je sais les vivre
avec mes démons, mes richesses
mes faiblesses,
les elfes et les fées
les anges qui m'accompagnent
et que souvent je maltraite
par impatience, par défiance
et surtout par amour de la vie
car il n'y a rien à ajouter :
"la vie est belle"