Le Havre
"Le Havre est actuellement en grande partie détruit et j'aperçois cela de mon balcon…" ***
Les bancs, les arbres, les places autant de lieux d'émerveillements, de réflexions, d'interrogations, d'imagination et surtout de mémoires, de souvenirs.
Les bancs où qu'ils soient me fascinent, leur poésie, leur vécu m'interpelle, nous passons, nous nous y asseyons, nous les voyons ou nous les ignorons.
Une chose est sûre leur vie est immortelle par rapport à la nôtre, sauf fâcheux incident,
ils nous connaissent mieux que nous le pensons.
Les arbres j'en suis sûre conservent une empreinte olfactive de notre passage, les bancs aussi, mais c'est une autre histoire !
Le Havre, insidieusement est entrée dans ma vie, il y a bien longtemps.
Années 50, très tôt dans les années cinquantes…
Le Havre avait commencé sa reconstruction, mais je n'en avais pas conscience.
Je croyais encore aux cloches qui revenaient de Rome pour déposer des oeufs de Pâques dans le jardin.
Mes parents avaient décidé de passer Pâques au Havre.
Nous allions visiter le paquebot "Île de France" en escale.
Les paquebots et mon père, et mon grand-père avant, c'est une très belle histoire, mais c'est une autre histoire.
Nous étions partis dans la 202 Peugeot, celle dont les phares louchaient, prêtée par mon grand-père.
Je ne me souviens pratiquement de rien, ou si peu de ce week-end, sauf quelques flashs.
Je me souviens que la dame de l'hôtel avait mis mon nounours sous les draps dans mon petit lit, et que j'avais été très heureuse de ce geste.
Je me souviens que mes parents m'avaient demandé ce que j'aimerais que les cloches me rapportent de Rome. Je voulais une poule avec des vraies plumes qui pond des oeufs… de Pâques,
je l'avais trouvé le dimanche de Pâques sur mon lit, la poule, encore un émerveillement.
J'aime toujours les petits oeufs, il ne se passe pas une année sans que j'en achète un sachet à la boulangerie.
Je me souviens qu'il faisait froid,
Je me souviens qu'il pleuvait aussi. La Normandie c'est aussi cela, je l'aime comme elle est avec ou sans pluie. Plus sans pluie !
Vagues souvenirs de la visite du paquebot Île de France.
Et puis c'est à peu près tout.
Le temps a passé
le temps est passé
il était temps de revenir au Havre, puis d'y revenir encore, en attendant la prochaine escale havraise.
Parfois je me dis que j'aimerais bien y poser mes valises.
Le Havre est une escale fabuleuse, une ville aussi détruite qu'elle le fût, qui grâce aux frères Perret a retrouvé une vitalité, une existence sans s'accrocher à son passé, tout en préservant son image, que rêver de mieux.
Ce mélange me fascine, ces rues "à l'américaine", cette luminosité, ces vastes espaces de circulation,
je m'y sens bien.
Le port, la plage en pleine ville, pas franchement belle, mais présente, offerte sans effort au passant
les baraques à frites, une vraie ville de bord de mer,
le port où il fait bon se promener pour découvrir les tankers, les paquebots qui sillonnent le monde entier et qui y font escale,
le port de plaisance et ses bateaux plus modestes qui invitent à des balades, le nez respirant les embruns.
Le passé, le présent se sont acoquinés pour nous offrir leur meilleur.
Même si le Muma n'est pas un bâtiment exceptionnel, les collections y sont belles. On peut toujours rêver en en déjeunant dans son restaurant avec vue sur le port que l'on est à l'Hôtel Frascati qui dressait son imposante silhouette face à la mer.
Ce matin, un peu en manque, je feuillette le petit opuscule que j'avais acheté lors de mon premier retour***
Je suis également fascinée de voir que les plus grands de nos écrivains y ont posé leur valise pour un jour ou pour toujours. C'est un signe, non ?
De Flaubert à Sartre, de Zola à Queneau, de Stendhal à Maupassant et j'en passe, ils l'ont célébrée avec force et talent.
Comment en marchant dans les rues oublier ces bombardements et ses tragiques conséquences sur la population civile ?
Comment ne pas penser aux cimetières de Normandie et aux milliers de soldats qui y reposent, venus du monde entier pour nous sauver. Je crois à une exception près les avoir tous visités et revisités, pleine de respect et d'interrogation sur la guerre, sur les guerres ?
C'est aussi pour cela que j'aime la Normandie, non seulement pour ses fruits de mer, sa mer, en dépit des petits grains qui n'en finissent pas de tomber mais qui en font un paysage vert et attachant.
Le Havre est une ville, comme je les aime, une synthèse harmonieuse, j'ai hâte d'y retourner, traverser la passerelle et me perdre le long des quais, attrapper un tramway au passage, m'arrêter au marché au poisson pour regarder les has sur les étals et surveiller les essaims de mouettes et les goélands qui se repaissent bruyamment des entrailles abandonnées, après avoir exploré la maison de l'Armateur à l'incroyable architecture, m'aventurer sur la plage, écouter le cliquetis des bateaux, ou siroter une grenadine à la terrasse d'un café.
Le temps y passe en douceur et en sérénité.
J'en oublie même la circulation et la pollution et la vilaine centrale thermique, c'est dire, c'est dit !
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©la tortue à plumes 🐢
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*** Michel Leiris - adresse 11 - Promenade littéraire Le Havre - Editions Terre en vue
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