le banc oublié
Immobile
le banc attend
il ne sait plus quoi
de nouveaux séants
de nouveaux enfants
des seniors
des ados
vermoulu
oublié
au milieu du chemin
il survit
peu de gens le voit
chacun passe son chemin
direction le bout de la jetée
sans un coup d'oeil à lui jeter
il est déglingué
il se souvient du temps
où les jeunes devenus vieux
s'en servaient de tremplin
pour sauter
et cabrioler
sans jamais s'y poser
quelques oiseaux encore
prennent le temps d'une halte
pour se lisser les plumes
et faire quelques commérages
sur la mouette infidèle
ou le pigeon indélicat
terre et mer
se rejoignent
une plume reste au sol
comme la planche qui s'est détachée
et qui gît sur le pavé
personne ne s'y intéresse
mais moi je l'ai vu
j'ai été émue
il faisait un temps de printemps
propice à la rêverie
et aux doux fantasmes
je voyais une femme de marin
qui attendait son époux
je voyais un bébé
qui attendait le retour du papa
je voyais au loin
sans longue-vue
les bateaux qui rentraient
d'une longue pêche
je voyais
c'était il y a quelques temps
il n'y a pas si longtemps
bientôt je reviendrai
le retrouver
mal en point
repeint de couleur fraîche
peinture encore plus écaillée
inutilisable,
insalubre
qu'importe je le regarderai
je le saluerai
je lui parlerai
et puis je poserai de nouveau
à mon tour mon séant
face à l'océan
même si ici
c'est l'estuaire
pas encore la mer
surtout pas l'océan
et je rêverai de son passé
des honfleuraises en longues robes
de Satie,
de Bourdin,
de tous ces peintres illustres
venus pour admirer cette jolie ville
moi, c'est lui que j'admirerai
comme une sorte d'anachronisme
de verrue dans le paysage
le long de la Morelle
seul son pied élégant tenant encore debout.
et puis si le temps ne l'a pas épargné
je sens qu'une petite larme
perlera de mes yeux embués.
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