périple d'une échalote bourbonnaise
18 heures,
la nuit est tombée
depuis de longues minutes d'automne
il a plu
il fait frais.
Pause dans mon studio minimaliste
cerné de quatre immenses fenêtres.
Les camions ne roulent plus
les gens rentrent chez eux
fin du visionnage des derniers épisodes
d' "insoupçonnable",
policier bien bien mais bien sombre
excellemment joué par
Emmanuelle Seigner et Melvil Poupaud
dans deux rôles à couper le souffle,
besoin de respirer.
J'ouvre la fenêtre : rien ni personne
alors, un prétexte de besoin d'échalotes
pour le velouté du soir…
je passe avertir mon amie
de ma dernière lubie.
Son appartement s'appelle "raisins"
le mien "prunes,
au début j'habitais au "kiwi".
Me voici dans la rue
direction la petite supérette,
dernière lumière dans la rue,
il est maintenant 19h
les commerces ferment.
la boucherie et la boulangerie viennent d' éteindre leurs lumières,
quelques passants attardés hâtent le pas…,
Un coup de fil avant d'entrer dans le magasin,
une idée me vient, je vais changer de direction,
seule dans la rue
seule avec mes pensées
et un petit grain de folie
qui me dit
et si tu montais jusqu'au supermarché
ni une ni deux !
direction le Carrefour Market
celui des courses
pendant mon séjour.
Bourbon est une ville toute en collines
on comprend la forteresse perchée
et son superbe panorama
sur le bocage bourbonnais.
Et ça monte,
la lumière blafarde éclaire très peu
je me tords les pieds,
ma fidèle amie la canne
limite les dégâts.
Je suis dans mes pensées
dans mon aujourd'hui
presque déjà passé
et mon demain
de plus en plus proche.
Arrivée je n'oublie pas les échalotes
ce qui me connaissant était possible
puis un tour de magasin,
je salive devant le rayon des pâtes de fruits
d'Auvergne, de Vichy bref du 03, l'Allier
ma belle découverte.
Le magasin va fermer.
Nous ne sommes plus que des femmes,
employées du magasin
ou acheteuses,
les hommes ont déserté
je sortirai presque la dernière
par la petite porte latérale.
Le grand rideau de fer est baissé.
Pourquoi reprendre le même chemin
trop facile !
j'attaque le petit passage
latéral de la station-service
évidemment pas éclairé
qu'importe
je suis bien
je suis moi
avec moi
il fait plus doux
bien qu' humide
ceci suffit à mon bonheur présent.
Bout du passage.
Tourner à droite ou à gauche ?
à droite évidemment
quel sens de l'orientation
si je vous disais que je me perds même avec un GPS
ça vous rassure ?
moi, je fais avec !
il y a toujours une solution
pas la plus facile
pas la plus courte
mais une solution !
Très vite,
la lumière blafarde des réverbères revient
je me dis que le trottoir était différent en montant
simple constatation.
Faire demi-tour ?
même pas en rêve
alors, je continue
pas âme qui vive
une voiture me double
les oiseaux dorment.
La forteresse d'un coup me saute à la figure
dans la noirceur de la nuit sans lune
mais où quelques étoiles me protègent,
j'y vois celle de Sophie-la louloutre-, dont c'était le dernier adieu
aujourd'hui. Pensées en filigrane toute la journée.
Je reconnais la route, c'est celle qui descend du plateau
pour traverser en zigzaguant le centre-ville.
Je souris bêtement en me disant que ma balade va être
un peu plus longue que prévue.
Bien, je suis vraiment bien.
Seul le crissement de mes semelles de chaussures dans le gravier
et le bruit de ma canne font diversion.
Je m'arrête et j'admire ce panorama superbe sur la ville et la forteresse.
C'est plus fort que moi, me voici à Perugia, mon autre chez moi,
lorsque nous passons par l'arc étrusque et la longue balade par la via Cesare Battisti qui surplombe
notre maison et son grand jardin planté d'oliviers.
Le calme me gagne. Ma respiration se fait lente et apaisée.
Feu rouge. Un des seuls, peut-être le seul de Bourbon.
Enfin finie la descente,
je tourne à gauche chemin de retour vers mon appartement,
rue de la Burge, la rivière qui serpente à sec ou presque,
puis rue Achille Allier,
soudain je suis frappée encore une fois par les réverbères en harmonie avec la couleur de l'eau de la cure,
en exagérant un peu,
et surtout par le vide des rues !
personne, mais vraiment personne
pourtant il ne pleut pas
il ne fait pas froid.
Ma tête se raconte des histoires
d'avant quand j'étais petite fille
de la province, du poitou ou d'ailleurs.
Je suis bien présente et attentive,
on ne sait jamais,
mais en même temps toujours ailleurs,
repartie dans mes multiples vies
ressurgies d'un détail de rien du tout
d'une odeur,
ce soir celle suave et boisée
d'un feu de cheminée.
Personne.
Quelques troquets ouverts
deux pelés-trois tondus !
j'ai compris !
les femmes étaient à Carrefour Market
et les hommes dans les troquets !
Tout est donc normal !
c'est moi qui suis décalée.
Une rue à droite : personne
une rue à gauche : personne
Avant de rejoindre mon logis,
je ne croiserai qu'un jeune couple d'amis
ou pas, ou plus, ou moins,
ils parlent dans une langue balte
ce sont deux, sans aucun doute, des kinés de la cure
décidément quelque soit l'endroit, il n'y a plus de kinés
francophones, francophiles, français
ce n'est qu'une constatation.
Il faut dire que ce boulot de kiné sous l'eau
est juste très rugueux et aqueux
enfin, moi j'en bénéficie
mais le pratiquer ne doit pas être
une sinécure
jeu de mots !
Rentrée, le manteau posée,
les mains lavées
un petit verre de rouge
en guise d'apéro
je me mets au velouté du soir :
c'est quoi ?
oh les curieux !
c'est des : feuilles de laitue
verts de poireaux
tomate
radis noir
pommes de terre
et la fameuse échalote
qui m'a entraînée dans cette folle balade improvisée.
La boucle est bouclée
j'ai frôlé les 4 kilomètres et les 6000 pas
heureuse de mon "street trip bourbonnais"
je peux enfin savourer le velouté qui fume dans mon bol.
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