2 h 32
La nuit est là, mais pas le sommeil. Il est déjà reparti.
Les yeux grand ouverts, je regarde le plafond, que je ne vois pas puisque la chambre est plongée dans l'obscurité quasi totale qui m'oppresse et que la veilleuse de mon réveil mural, hérité du précédent propriétaire, ou les vagues lueurs qui se faufilent à travers les persiennes ne sont pas suffisantes pour l'éclairer.
Mon voisin ronfle. Il vient de se coucher depuis peu de temps et déjà il ronfle et moi je me réveille.
La petite chienne provisoirement dort dans son panier. J'ai mal aux jambes. J'ai soif et j'ai envie de chocolat.
2 h 40. J'ai déjà avalé les derniers carrés d'une tablette de Crunch. J'aurais préféré du Milka aux noisettes, mais j'aurais dû descendre au sous-sol. Trop compliqué. J'ai aussi déjà dévoré la moitié de l'autre tablette de Crunch ouverte avec rage comme si je n'avais pas mangé depuis huit jours ou comme si ma vie en dépendait. Je n'ai pas encore bu. J'ai donc toujours soif.
J’ai trouvé un crayon et un bloc de papier. J'écris.
J’ai l'impression de digérer le chocolat plus facilement.
Je ne sais pas ce que j'écris. Je ne sais pas ce que je mange ou approximativement. Je n'ai pas descendu mes lunettes, je devine donc plus que je ne vois, en tous cas je suis incapable de me relire. Ce n'est d'ailleurs pas l'objectif à cet instant précis.
Çà y est j'ai bu. Un demi-litre de Salvetat d'une traite qui déjà me gonfle l'estomac. Quand on aime, on ne compte pas. La digestion va être douloureuse vu l'état dû dit estomac.
Je me lève, je fais quelques étirements, tout en continuant à écrire.
Douleurs intenses dans les mollets.
3 h 16. Le temps s'égrène. La pendule me le fait bien sentir de son tic tac, comme au temps d'avant. Pendule de pacotille chinoise certainement qui fait comme si elle s'appelait vraiment une pendule, celle de l'enfance qui ponctuait les journées, les goûters, les repas, l'heure d'aller se coucher. Et qui chez mon oncle Paul, quand il oubliait de l'arrêter me réveillait tous les quarts d'heure de son son assourdissant. C'était un carillon pas une pendule il est vrai .
J’ai toujours mal aux jambes et aux mollets et … alouette. C'est pas chouette du tout.
Demain je marcherai pour limiter les douleurs de la nuit.
J’écris de plus en plus en biais sur la feuille. Bientôt je ne pourrai plus écrire que deux mots, surtout qu'avec la fatigue mon écriture grossit proportionnellement. Il faudra que je vérifie dans mon bouquin de graphologie la signification de cette fuite, de cet agrandissement insensé de la marge.
Je retourne sur le bord gauche de la feuille pour continuer ma narration.
Demain. Je n'ai toujours pas mes lunettes et le bouquin est à l'étage supérieur. Je hais les maisons, les escaliers que je ne devrais pas monter, en raison de mes genoux qui n'en ont plus que le nom, mais plus la fonction. Moi toujours aussi phobique depuis ma fameuse chute à quatre ans. Mais si je l'ai raconté cent fois. Celle où j'ai failli être défenestrée du quatrième étage après avoir raté une marche.
Demain matin également, j'espère que je serai capable de me relire pour taper mon texte. Le taper oui, oui. Je pense qu'il n'est pas sage, alors je vais le taper.
3 h 21. Ce n'est pas la pendule chinoise qui me le dit, elle si approximative, non, celle du four qui répond à la seconde à celle du micro-ondes. Solidarité d'électroménager !
3h 22. Tout est presque dit. Zut, il n'y a plus de mine dans mon critérium (chinois, surement !). Un vieux stylo fera l'affaire pour conclure.
Une insomnie par nuit, je ne m'y habitue pas vraiment. Et après il faudrait que je ne sois pas fatiguée le jour. Difficile. On verra.
Après la pendule chinoise, le critérium chinois, non le chocolat n'est pas encore chinois, ouf ! je me souviens que j'ai voulu acheter des dos de cabillaud hier, histoire de ménagère, il provenait de Chine, lui aussi alors exaspérée je l'ai reposé dans son armoire réfrigérante en maudissant les Chinois jusqu'à la cinquième génération.
Insomnie : je crois connaître ton origine. Ce n'est pas le vin contrairement à ce que certains pensent. J'ai bu de l'eau hier soir, et avant hier et avant avant hier, et mes analyses sont pourries.
Dans mon bureau, alors que je commençais à écrire un texte, a priori les mots, gentiment , reviennent sous mes doigts noueux et paresseux, il est entré, tel un félin, un ordinateur dans les mains, pour discuter de notre projet, qui je crains restera projet, d'une petite escapade de trois jours quelque part.
Le point crucial : où ? J’avais désiré Bruxelles. Vous avez vu la météo ? Il vaut mieux renoncer. Et puis il veut voir la mer. Alors la baie de Somme, la Manche, la mer du Nord. Vous avez vu la météo ? Alors : Bordeaux, Toulouse, Nantes, Strasbourg… y'a pas la mer et vous avez vu la météo ? Nice, Marseille pas génial toujours la météo. On descend la Sardaigne, la Corse, mais pour deux jours… et qui va s'occuper de Miss Chiwawate ?
Lui, c'est mon garçon préféré. Et puis le père qui pouvait partir mardi prochain a décidé qu'il partirait samedi. Çà nous a énervés beaucoup. Et puis jeudi matin je dois caser, mais c'est normal, les obsèques d'un ami. Notre affaire n'est pas gagnée.
Finalement on a rien décidé, un peu déçus, mais on a passé deux heures lui dans mon canapé lové dans mon superbe plaid couleur rosebud ; moi dans mon fauteuil de bureau à refaire nos vies. Abolition des frontières mère-fils. Ne rien se cacher pour avancer. Et je crois que certaines choses dites peuvent aider. Surtout ne pas rester sur les non-dits, je déteste cela. C'est régressif et contre-productif, de même que je déteste les secrets de famille qui font si mal. J'en connais un qui a dû avoir les oreilles qui sifflaient. Si seulement il voulait même pas entendre, mais écouter ce qu'on aimerait lui dire pour l'aider. Mais, non, définitivement, il est sourd et nous sommes muets devant tant d'indifférence et de surdité. La peur au ventre de l'avenir.
Quel bonheur malgré tous ces propos en pleine liberté de parole. Je n'ai plus qu'à digérer tous ces mots et, la tablette de chocolat qui vient de se réfugier au fond de mon estomac.
3 h 30. intermède terminé. Je sais qu'au réveil j'aurais la gueule de bois de cette soirée et de cette insomnie.
Je remonte me coucher.
J’espère que la petite chienne m'attendra pour venir me réchauffer et se lover dans le creux du ventre, là où la douleur se niche.
Mon voisin ronfle toujours.
Pourvu que le sommeil revienne vite me chercher. Je n'ai plus envie de jouer.
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