le Morbras
Il avait traversé ma vie de petite fille entre champignons et pissenlits.
Le Journal de la Sirène dans ma boîte à lettres.
Un carton d'invitation :
"Morbras, œuvre vive. Florence Gourier. Sucy-en-Brie"
Les antipodes, mais que sont les antipodes lorsque l'on sent que le moment sera beau.
Cinq minutes plus tard, c'est décidé : j'y serai c'est ainsi.
Traversée de Paris en RER A. La jungle, début du voyage.
J'arrive, je retrouve mon amie qui m'accompagnera pour le vernissage.
L'automne à pas de loup signale sa présence, la pénombre tout doucement s'installe et nous encercle.
Un petit tour de rond-point, on a raté le château. Enfin voici l'Orangerie lieu de l'exposition.
Les discours ont commencé. À pas feutrés contrariés, par une porte exubérante nous pénétrons dans l'immense bâtisse. Le regard ne sait où se poser. La pièce, toute en longueur, est immense, le plafond de poutres est époustouflant. Les feuillets de l'œuvre de Florence sont en face de moi et emplissent tout l'espace.
J'apprendrai plus tard que cette fresque occupe vingt-cinq mètres de la longueur de la salle autant dire presque sa totalité. Une évidence cette salle attendait l'œuvre, elle devait être son écrin, le Morbras coulant nonchalamment à quelques enjambées.
Le Morbras coule sur le mur, serpente, se perd, revient, grossit, s'efface, explose déroulant une vie plurielle et pourtant tellement unique à chaque feuillet.
Compte tenu de mes compétences techniques, je m'abstiendrai de tout commentaire. De même que je ne sais si l'écrivain a utilisé la plume ou un ordinateur je me laisserai emporter par le Morbras et par l'émotion suscitée.
Fil ténu et indispensable, un écheveau d'images, de sensations, d'émotions se déroule à chaque halte devant un feuillet. L'image est là pleine et sensuelle, vivante, colorée. Force et douceur.
J'attends que le tigre feule à mon passage. Un petit peuple s'anime. Tout est unique, mais tout est cohérent, logique, en parfaite symbiose.
Le ru se fait plus violent, plus présent.
La baleine m'arrive en pleine face, elle m'engloutit, tel Jonas, je m'y sens bien. Il faut continuer.
Le voyage n'est pas terminé, je remonte l'œuvre d'amont en aval ou le contraire, qu'importe. Le cheminement est très agréable, j'entends le clapotis de l'eau, les hommes qui se font face, les arbres qui bruissent, les oiseaux qui chantent qui s'appellent et se répondent. Something from America, Einstein, je suis presque arrivée au bout de la fresque.
Je remonte le Morbras, une chips au wasabi à la main prête à refaire le voyage.
Le voyage est interrompu. L'alarme se déchaine, nous oblige à quitter ce lieu magique de quiétude et de rêve. Plusieurs tentatives pour calmer la sirène n'y feront rien, l'alarme est la plus forte. Elle aura vaincu provisoirement la baleine ou le tigre. Ou plutôt, de son hurlement elle aura participé à faire savoir que l'événement était là et bien là. Et puis une sirène qui hurle pour un bestiaire il y a de quoi en faire un journal. connexion !
Je garderai un très beau souvenir de cette soirée. Les mots dansent encore : Florence, œuvre vive, le Morbras, quarante et un feuillets, Orangerie comme une sucrerie que l'on a envie de savourer encore et encore.
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