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Publié par fuzzybabeth

 

«Petite chainette de fer qui relie le mors du cheval, etc…»

On en est loin avec la dérive qui en est faite avec la gourmette, d’or ou d’argent, qui orne nos poignets.

Et c’est précisément son cas. Ma gourmette, car elle est mienne depuis plusieurs années, reçue en héritage. Très longtemps, elle m’a encombré, par ce qu’elle représentait par sa provenance, par son clinquant, par le symbole d’un pseudo signe de «richesse».

 

Ce matin, elle orne mon poignet, et d’un coup je la vois, je la remarque. Sensation étrange, elle prend vie, elle est, elle vit.

Elle brille sous le soleil de la salle d’attente de la gynéco. Bilan annuel, séance de pattes en l’air, dépister, vérifier que tout va bien. Pas une partie de plaisir, pas un drame non plus.

 

Elle était là dans son écrin de moire rouge, appuyée sur un petit socle qui la mettait en valeur. Longtemps, elle m’avait agacé, par ce que je nommais son arrogance, enfin, à mes yeux. La parure de la femme, le bijou de la vie, le cadeau qui marque un passage d’âge, la naissance d’un enfant, les noces de quelque chose ! Bref un marqueur de vie.

L’or magique qui a fait tant de morts, l’or voyant, torturé, torsadé, agrémenté, ciselé. Ma gourmette s’enrichit d’un shilling en or élisabéthain qui cliquète à chaque mouvement de mon bras et qui tel un battant de cloche résonne dans mes oreilles.

Un peu de sous elle vaut, surtout en cette période où la valeur de l’or monte en flèche pour s’arrêter nul ne peut encore en prédire le niveau.

Deuxième de sa génération, copie conforme de la précédente. Un jour, il s’était introduit, dans leur petit pavillon parisien, en leur présence, prétextant des travaux dans l’immeuble voisin.

Sans hésitation, il avait traversé la maison, monté l’escalier qui se cachait pourtant aux regards, s’était introduit dans la chambre et emporté tout ce petit butin, qui était son trésor, emportant du même coup un cendrier Lalique, qui accueillait son trésor, quand elle ne les portaient pas sur elle. Tout, bague, collier, montre, gourmette d’or et de valeur et même des bricoles sans valeur sauf sentimentale. Il était reparti comme il était venu, ils n’avaient rien vu, rien compris.

Il était encore vivant. Ils avaient reconstruit petit à petit ce petit trésor. Dont la gourmette. Elle la quittait rarement. Plus tard, emporté par une ou plutôt deux sales maladies qui s’étaient donné le mot pour le faire souffrir et l’handicaper, le mutiler, il était parti.

Alors, je devenais la gardienne du petit sac plastique, enfin pas vraiment, de la pochette à bijoux. J’avais un coffre, elle savait qu’ils étaient en sécurité. Jamais, il ne m’était venu à l’idée de les porter. Ils n’étaient pas à moi et puis je ne sais pas si je les aimais vraiment.

J’avais ma vie, mon histoire, et tout était bien comme çà.

Le temps passa, elle disparut à son tour. Pas comme lui. Lui avait eu la chance, curieuse expression, de décéder d’un coup, pouf par terre. C’était mieux, il l’avait mérité cette fin brutale et douce en même temps. Un jour je raconterai. Elle avait traîné, dans un lit, délirante, perdue, attachée, à Louis Mourier. Moche sa fin. Décadente. Je raconterai aussi. Je ne suis pas sure qu’il faille vivre trop vieux, trop mal. J’ai d’autres exemples. Je n’aime pas.

Bref, sa gourmette était maintenant ma gourmette. J’étais la seule héritière. Et c’était presque mon seul héritage, car le petit pavillon de Paris, n’était qu’une location sous la loi de 1948, et les retraites étaient correctes, mais sans plus.

Toujours dans mon coffre, je n’avais pas encore perdu la clef !

De temps en temps, je la sortais, je la regardais, un malaise s’installait, je la rangeais dans le coffre. Je me disais que je ferais mieux de la vendre que je n’en ferai jamais rien.

Et puis, l’autre mère, toujours vivante, enfin respirante surtout, n’était plus chez elle. Des gens allaient et venaient dans la maison, lui était seul et incapable de veiller à tout. Alors, son fils un jour revint avec les bijoux, mon trésor grossissait, sans envie, avec émotion quand même. Car je savais ce que cela représentait pour eux.

Entretemps, moi, j’ai décidé que les bijoux je m’en fous, je les ai c’est bien, je ne les ai plus tant pis. Il est vrai que la plupart, vanité et exagération, sont le résultat de mes propres acquisitions, liées à des évènements, mais pas toujours. J’avais une bague de fiançailles, on me l’a volé alors.. 

Mon alliance ne me va plus, et mon mariage non plus, et puis elle n’est pas gravée, il n’a pas voulu, bénite quand même.

 

Le collier est allé rejoindre la gourmette. J’aimais bien ce collier, la bonne grosseur, la bonne longueur, encore très correct pour mon cou en cours de décrépitude. Lui, je le porte, je n’ai pas eu l’envie de le vendre, alors ma conscience s’est mise en branle. Si tu gardes son collier, tu dois aussi garder la gourmette de ta mère. Égalité, pas de préférence.

Voilà pourquoi depuis quelque temps, je me promène parfois avec la gourmette en or de ma mère, il faut encore que je fasse enlever la breloque. Mais, par esprit de contradiction, je la porte avec une énorme gourmette en métal, même pas de l’argent, lourde, large, elle étouffe le clinquant de l’autre. Mon bras ressemble à un bras de forçat, mais j’ai trouvé un compromis qui me va, même si je ne peux effacer son visage de ma rétine, car elle est certainement réincarnée dans la gourmette. J’aurais du la vendre, tourner la page, je ne suis pas prête, mais je me connais, un coup de sang, et paf tout vole par-dessus les toits, les moulins, les chemins…. Car je suis vivante et je dois encore me dépouiller pour me retrouver moi face à moi sans fard, sans or, sans artifice.

 

 

 

 

 

Elisabeth Regenet-Capuana (mes écrits perso) le 30/04/ 2011, dans la salle d’attente de la gynéco en partie puis dans le séjour

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