mon journal vraiment très intime
Tu es vraiment très intime.
Je viens de te retrouver
comme d'autres documents
moins personnels,
un chèque dans son enveloppe
une inscription à un évènement
et d'autres
dans une pile sans nom
dans une pile abandonnée
dans un coin de mon bureau.
Puis-je encore l'appeler un bureau ?
cet antre, ce cocon,
ce lieu qui porte fièrement
sur la porte
une petite étiquette bleue
moi qui n'aime pas le bleu
et inutile, moi qui n'y reçois jamais personne !
bleu, car j'avais dû égarer les autres couleurs de l'arc en ciel
elles aussi dans une pile invisible à ma vue.
Tu es bien mon cocon,
mon lieu de réflexion,
d'où je peux admirer un grand coin de ciel
parfois bleu, parfois tendance grise
parfois couleur de miel
et les luxuriantes branches du prunus cerise
aux jolies feuilles miroitantes rouge sang
hélàs improductif de fruits appêtissants.
Je reviens vers toi,
pour que tu comprennes que je ne t'ai pas oublié
mais que tu as fait les frais de l'effet cairn,
un papier sur un autre
un dossier sur un autre
un bouquin sur un autre,
tu étais juste un égaré de mon quotidien
ce mot me convient tellement bien
depuis deux jours je cherche une ordonnance
depuis plusieurs jours je cherche une paire de ciseaux.
J'attends que spontanément,
car je leur fais confiance,
elles ressortent en me disant :
"coucou, c'est nous,
nous sommes revenues
dans ton monde ubuesque,
tu es vraiment déjantée
ma pauvre fille
on pense qu'il est trop tard
pour inverser le cours des choses
et reconnecter
les circuits de ton cerveau
qui manquent à l'appel
on fait avec ce qui reste
et heureusement
tu n'oublies pas tes chers mots"
Tu vois, cher journal intime,
ce qu'en pensent tes copains,
ce n'est pas de ta faute
si mon stylo ne coure plus sur tes pages…
Les derniers mots datent du 9 novembre 2022
et déjà je mentionnais que je t'avais abandonné
le 8 février 2020.
De l'eau a coulé sous les ponts
et le monde est toujours aussi c..
mais la vie aussi belle
si l'on prend soin d'elle.
J'avoue que laisser mes doigts courir sur le clavier
est plus évident que de laisser mes doigts
attraper et manipuler un stylo
aussi beau et efficace soit-il.
Alors, ne m'en veux pas, je te garde comme un ami
comme un témoin précieux
avec les autres carnets déjà remplis.
Je vais te faire une confidence,
mes plus beaux souvenirs, sont ceux où en 1985,
j'écrivais jour après jour, chaque instant
chaque geste, chaque nouveauté
de mon fils adoré.
J'attendais qu'il s'endorme
pour me mettre à écrire
même si le sommeil me terrassait
je gardais un oeil ouvert
pour ne rien oublier de la journée,
ta taille, ton poids,
tes sourires,
ton premier mot
des souvenirs heureux
d'une maman comblée
et folle d'amour
pour ce petit enfant tant désiré.
Tu es un homme maintenant
et je suis fière de toi.
un jour je ressortirai les cahiers
j'ai bien peur que tu te gausses
j'espère que tu seras quand même ému.
Et toi, mon beau cahier en tissu, décoré de fleurs et de feuilles naïves
et printanières, que j'aime caresser
à la tranche dorée et aux deux petits signets que j'adore
je te garde précieusement près de moi.
Peut-être que bientôt
j'accompagnerai mon stylo
pour te confier de nouvelles histoires
car j'ai tellement de choses à te raconter
toi, mon plus discret et fidèle ami.
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ps. photo collection JM FOLON "écrire" que j' admire tellement.