la rue sans nom
J’habite une rue sans nom
d'ailleurs personne n'habite cette rue
il n'y a que moi qui ait résisté
ils s'en sont tous allés
lorsque la première pelleteuse est arrivée.
Je l'appelle la rue de nulle part
ou la rue qui n'existe pas
pourtant c'est là que j'ai fait ma vie
c'est là que j'ai connu l'amour
que ma famille s'est formée
que les enfants sont nés
que les enfants ont grandi,
entre le grand chêne
et le petit ruisseau
entre les noisetiers
et les fleurs de pissenlits,
aujourd'hui, il ne reste rien
même les pissenlits ont disparu.
À leur place sont arrivées des enseignes
presque toutes étrangères
vendant des choses de peu de bien
des produits de Chine ou d'ailleurs
à tout petit prix
les voitures engorgent les parkings
le samedi et même le dimanche.
Nouveau lieu de rencontre :
les églises sont vides
les croyants, les non croyants
ne communient plus
sauf dans ces énormes bazars.
Je suis le dernier rescapé
je résiste
jamais je ne partirai
ils m'ont proposé des ponts d'or
pour aller habiter ailleurs
pourquoi ailleurs ?
C'est ici que ma vie est en or
en couleurs et en douceur
dans ma petite maison
aux volets bleus et aux murs teintés d'ocre.
Seul accompagné de mes poules
qui me racontent leur vie,
dès le petit matin,
de leurs caquètements stridents
de mon vieux chien Ripoliin au poil usé
et du chat Rigobert
aux yeux verts
ils sont heureux
et moi aussi
alors c'est ici que je finirai ma vie.
Dans le grand terrain engazonné
je demande que l'on y dépose
les urnes de toute ma petite maisonnée
de poils et de plumes
et ma vieille carcasse toute cabossée.
En attendant,
car ce n'est pas urgent,
il faut que j'aille m'occuper des légumes du jardin
pour ma soupe végétale multicolore
qui comblera mes papilles
agrémentée du parfum unique
d'un bouquet de cerfeuil aux parfums
d'anis et de réglisse
qui m'a toujours accompagné
et fasciné depuis ma tendre enfance
par ses feuilles velues d'une légèreté
quasi divine, d'un si joli vert tendre,
ce que le persil lui a toujours envié.
=====