les yeux dans le vide
Les yeux dans le vide
la tête dans les mains
je pense à demain.
Comment sera demain ?
Comment l’imaginer ?
Comment l’envisager ?
Alors qu'aujourd'hui est déjà une question !
Je regarde à l’horizon
L’horizon est un mur
Je rêve de l’horizon depuis un bord de mer
Les pieds caressés par l’eau venant doucement y mourir.
Le vent fouette mon visage, ondule autour de ma tête,
soulève mes cheveux désormais blancs :
matérialisation d’une vie très entamée.
Mais que sera demain sans cette mer apaisante
Énervante, excitante, lascive,
Qui part et qui revient éternellement ?
Nous ne sommes rien !
Sommes nous dignes de fouler ce sable ?
Interrogation fondamentale !
Souvenirs de pèlerinages à Omaha Beach,
ou Colleville et sa plage.
Dès que j'y pose les pieds
je ressens les vibrations de cette terrible guerre
de ces milliers de soldats venus nous libérer.
Quitter la plage.
Monter le sentier par l’escalier débouchant,
comme une claque immense,
directement sur ces rangées de croix blanches
à donner le vertige,
Ces drapeaux qui flottent eux aussi au vent
comme celui qui fouette mon visage.
Cette guerre est finie,
je ne l’ai pas vécue,
quelques séquelles encore présentes à ma naissance :
carte d’alimentation pour le lait pour le bébé que j’étais
Comment oublier ce qui paraît si ancien ?
L’émotion est intacte
Le respect éternel aussi.
Le pardon existe
l'oubli jamais !
Il y a tous les autres soldats
Qui sont venus nous délivrer
J’ai visité tous les cimetières,
je m'y suis recueillie, la boule au ventre,
L’admiration comme étendard,
Comment ne pas se recueillir ?
Comment ne pas s'interroger ?
même après soixante quinze ans cette année. ?!
Et comment ne pas s'émouvoir dans ce cimetière allemand,
beaucoup plus sombre que les autres, en pensant que les soldats qui y reposent n'avaient, eux-non plus, pour la majorité, pas choisi de faire cette guerre.
Presque encore des enfants, des jeunes gens tout juste
La guerre est la plus grande absurdité du monde.
Alors ce matin
Les yeux dans le vide
La tête dans les mains,
je n’ai pas le droit de flancher devant les misères de ma vie
je n’ai pas le droit de me laisser aller.
L’horizon est là invisible, présent pourtant
Je vais fermer les yeux
Pour me retrouver
Je vais fermer les yeux
Et en pensant à eux
Je vais commencer ma journée
En me disant encore et encore :
« Que la vie est belle »
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