le diaporama et les trolls
Les images défilent sur l'écran. Le second, le grand, celui derrière le petit. Un diaporama en boucle. L'Islande, mes souvenirs, presque un an déjà que je préparais la valise, les bonnets de laine, les gants fourrés, les doudounes, les sous-vêtements chauds, sans oublier les appareils photo et les cartes SD.
Un an, je n'ai rien oublié. Il y a très longtemps que je n'avais vécu une telle émotion qui ne s'estompait pas, qui ne voulait pas s'estomper. Je cherchais le pourquoi ? Il y avait une raison, il y a une raison enfouie au fond de moi c'est certain. Quelle raison ? Quelle déraison ? Quel motif ? Et s'il n'y avait rien que le bonheur d'un amour aveugle pour ces paysages, pour la violence, pour la rigueur, pour la rugosité des lieux.
Je vois certainement l'Islande dans un prisme déformant. Je sais, d'expérience, que l'on ne peut pas parler d'un pays si l'on y a pas vécu, si l'on n'a pas vécu au contact des habitants. Encore qu’être au contact voudrait dire quoi ? Tout ceci est tellement compliqué que je m'embrouille, que je m'égare. Alors, je me fie à mon instinct. Pourquoi ai-je senti des larmes couler sur mes joues en survolant cette terre nordique bien avant que l'avion ne se soit posé au sol ? Pourquoi ? Et si j'avais senti que c'était là que peut-être, malgré le climat, la langue j'aimerais poser mes valises pour trouver le calme et la sérénité qui m'ont échappé depuis longtemps.
Là, où les trolls m'attirent, où le sable noir m'enivre de bonheur, là où la simple vue d'une statue m'émeut, où les pentes des volcans me bouleversent, où Þingvellir m'a emprisonnée entre les flancs de sa faille, perdue entre deux continents.
Et la vie dans tout cela ?
Et si, j'avais décidé de m'abstraire du quotidien et de ne faire que rêver ma vie?
Et si, je n'avais plus que l'envie de courir dans la lande, de m'arrêter, d'écouter le glapissement du renard ou le tölt du petit cheval au loin.
Et si, je n'avais plus que l'envie d'écouter les vagues qui se brisent tout au sud à Vík í Myrdal.
Et si. Les images défilent en silence, mon œil s'arrête sur une plume de cygne coincée dans un buisson épineux, ou sur le fracas d'une cascade qui dévale du haut de la falaise.
Et si. La neige crisse sous mes pas, elle vient, à l'improviste de tomber, alors que cinq minutes plus tôt, le soleil me souriait.
Et si. Je retournais dans le vieux cimetière à la recherche d'ancêtres inconnus. Qui sait ? Peut-être aurai-je une surprise ?
Et si. Les cygnes, les canards se pavanent, babillent, cancanent dans les eaux gelées du lac. La statue me regarde. Je lui souris, je pose ma main sur son épaule et je pose un baiser sur sa joue glaciale. Pourtant je sens un réconfort, quelque chose s'est passé.
Et si. Mes bottes s'enfoncent dans le lichen mousseux contraste avec la roche volcanique et le magma qui bouillonne sous mes pas.
Et si. Je hume avec gourmandise le bol de Kjötsúpa que je viens de préparer et qui me ramène à mon enfance.
Et si. Un corbeau, un énorme corbeau indifférent, tance le monde du haut de la cheminée. Il me fait un peu peur. Mais il est si beau que je lui dois respect et admiration.
Et si. Je sens le froid sur mes épaules, jusqu'au plus profond de mon être. Le bleu d'un glacier millénaire me saute à la figure, j'admire ses bleus, ses blancs. Tout est immobile. Mais je sens la force, la puissance, le miracle de la nature.
Et si. Je ne suis rien qu'un petit point dans cette immensité, qu'une plume légère qui se fond dans l'espace, qui s'envole, qui plane et qui redégringole lourdement la tête sur l'oreiller. Je viens de me réveiller, je suis trempée de sueur, de pleurs, de souvenirs, d'envie, de désir. Dis, tu m'attendras, tu me prendras dans tes bras quand je reviendrai. Mes mains dans mes poches, mon bonnet sur la tête, je m'assiérai encore sur le banc du petit square, là, oui, toi tu sais où… et mon souffle apaisé je pourrai à tout jamais enfin me reposer et laisser mes douleurs, mes peines, mes tracas et mes chagrins loin derrière moi.
Et si, je ne revenais pas alors j'en mourrais c'est à peu près certain.
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