un jeudi ordinaire
Les enfants vivent leur rêve dans la cour de l’école
Ils refont déjà leur petit monde
Un gilet a été oublié au sol
Un enfant est seul dans un coin
Deux autres se disputent un ballon
Trois autres rient en faisant une farandole.
Je n'aime toujours pas ces petites voix suraiguës
Plus loin la gueule ouverte, elle bâille
Ses entrailles sont noires,
Noires de fumée, de suie
Il n'y a plus de moteur, tout a cramé.
Elle est restée là épave déprimante abandonnée
On ne devine, qu'à peine sa couleur initiale. Rouge feu, alors tout est normal.
Je marche
Le ciel est bleu au-dessus de ma tête
Je viens de laisser ma voiture
Non, pas celle qui baille - la mienne -
Une petite révision pour me rassurer et réparer la plaque qui m'avait inopinément lâchée, dans un cliquetis inquiétant, un jour de départ dans les Vosges.
Quelques kilomètres à pied et je serai chez moi. Le chemin ?
Je choisis la coulée verte, je ne choisis pas, je suis aimantée.
Elle qui commence à se parer de ses teintes d'automne
Elle s'appellera, la coulée verte, même cet hiver quand la neige l'aura recouverte.
Laissons-lui le temps de s'habituer et moi par la même occasion.
Il n'y a quasiment personne
Je peux en paix et rêver et admirer et contempler les verts, les jaunes, les dorés, les mordorés.
Je m'arrête un problème de chaussettes
Je rigole comme l'autre jour dans le train
Ma mère serait atterrée.
Un monsieur me regarde à l'autre bout d'un autre banc
Les oiseaux s'ébrouent et font dégringoler quelques feuilles qui n’ont pas résisté à leurs ébats.
J’ai un peu mal aux genoux
Hier séance de gym un peu trop tonique
Mes vieilles articulations se manifestent
Un chien !
Un chien ?
Tiens ! Je croyais que c'était interdit aux chiens
çà m'agace
Et pourquoi je n'en ferais pas autant
Je pourrais moi aussi promener ma chienne
Elle serait heureuse de pouvoir renifler à truffe déployée toutes es odeurs de nature.
Je croise un monsieur
Pas de bonjour
Ce n'est pas grave
Ah ! Je vais voir avec la dame si elle est plus souriante
La réponse est non !
Elle baisse la tête
Tant pis pour elle
Je suis arrivée à hauteur de l'ancien passage à niveau
J'aime toujours imaginer l'odeur de la soupe aux choux qui mijote
dans la maison du garde-barrière.
Au loin :
un train est passé
un bus est passé
une voiture est passée
une moto est passée
le silence est rompu
l'avion s'est abstenu
la vie ordinaire
la vie urbaine
Oh ! Un papillon blanc vient de se poser sur une large feuille verte beaucoup trop grande pour lui.
Je passe devant le nichoir des osmies
je m'arrête en retenant mon souffle
elles ne sont pas là
une autre fois
Je me disais, car je me parle, que je n'aurais pas dû sortir de chez moi ce matin,
petits soucis du quotidien, sans plus.
Une caresse sur la carrosserie, elle était mieux avant.
Arrivée au garage, je sens une légère humidité sur ma cuisse
La faute à la bouteille dans le sac !
Déballage sur le comptoir
Les papiers de la banque
Le gros classeur de l'association
Les bouquins
Quelques sopalins plus tard, c'est moins mouillé mais gondolé
Les bouquins sont saufs ouf !
Un autre papillon volète affolé et se pose en un atterrissage de velours sur une frêle herbe qui en est tout émoustillée.
Comme j'aime cet endroit
et ces souvenirs
d'un autre temps du chemin de fer,
j'aime beaucoup moins les tags qui la jalonnent
cette agression à la nature. Ce n’est que ma perception...
"bonjour le chat"
- tu te croyais planqué
- non, non je t'ai vu
- ne t'inquiète pas je ne fais que passer
- je n'essaierai même pas de te caresser
Les petits tas de bois sont au garde à vous. Ils attendent les rongeurs et les insectes.
Je repense aux sushis.
Il était allé acheter des sushis
je conjugue :
il était allé s'acheter des sushis
il les a mangés sous mon nez
sans partager
quel temps ?
Celui de l'agacement !
moi aussi j'aime les sushis
Mais où est passé le soleil ?
Je le croyais fidèle et éternel
je me suis encore trompée
j'ai encore trop rêvé.
L'escalier est en travaux
il faudra sortir au bout du bout
par le petit pont de bois
celui où un jour j'avais laissé une noix
L’autre pont.
Les pigeons résident sous les arches. Ils roucoulent, discutent
s'interpellent, se répondent
une brise légère soulève mes cheveux
Les rails font comme un ruban de fer qui guide les pas
mes chaussures crissent dans la terre poussiéreuse
je me sens bien, seule, avec la nature qui m'enveloppe de bienveillance.
Je lis les petits panneaux
-l'ailante
"elle est envahissante
"elle est originaire de Chine
"elle est la nourriture d'un splendide papillon nocturne : le bombyx de l'ailante
quelle chance, il habite la coulée verte.
Second pont et ses tags tout frais du jour
et l'immense tag hommage à M. BA décédé il y a un an ?
Mes chaussures sont maintenant grises de poussière :
Un autre panneau :
"gingko biloba"
- originaire de Chine
- seul représentant de son espèce
- vieux de 160 millions d'années
- arbre relique
- survivant des glaciations, d'Hiroshima
- acheté par monsieur de Petigny pour quarante écus d'où "l'arbre aux quarante écus"
Il aurait pu s'appeler le petigny.
Si monsieur Godillot avait inventé la poubelle et réciproquement
on jetterait nos détritus dans des godillots
et on porterait des poubelles aux pieds
le monde serait-il différent ?
dérisoire.
Le petit pont de bois
à enjambées fatiguées mais décidées
je l'arpente
une petite montée ralentie ma marche
tout doucement je m'achemine vers la sortie
le vent se fait plus présent
je franchis la porte verte
enfin me voici à découvert
je vais me fondre dans la ville
le bruit des voitures revient.
Une fresque me fait sourire…
clic la photo.
connexion :
hier j'ai fait le gorille à la gym
je suis déjà tortue
je suis déjà buse
je suis déjà désabusée
et me voici gorille
quand cela va-t-il s'arrêter ?
OFF ! Le dictaphone, les passants ne vont pas comprendre
et moi avec le bruit je ne vais plus m’entendre
STOP !
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