à toi qui fus
C'est ce soir que la tempête arrive, je viens de finir de relire le livre que tu m'avais écrit dans nos premières années d'amour fou. Et soudain, tout est revenu. Mon cœur est craquelé depuis trop longtemps, je ne veux plus te nommer, mais j'ai besoin de crier tout ce qui m'a fait tant de mal.
Je t'écris pour me taire, je brave tout, et surtout mon orgueil ; il faut que mon coeur se vide pour pouvoir se remplir de nouveau. Je n'ai gardé qu'une "goutte de pluie" de ce qu'a écrit Lao Tseu, seulement, celle qui me remet d'aplomb lorsque la pluie dans mon cœur est trop forte à supporter.
Pieds nus sous les grilles, attraper la rampe jusqu'à la fontaine, voilà comment tu étais ; me lancer des défis, sans comprendre vraiment pourquoi tu le faisais.
Tu étais excessif, un peu plus qu'en général. Je supportais car je t'aimais, éblouie par ta faconde et tes promesses rassurantes. On sait ce qu'elles devenaient ! Rien, ou c'était de ma faute, si ça avait échoué.
Je me souviens de ce jour, où exalté, tu m'avais entraînée dans une chasse insensée aux bigorneaux jaunes à pois verts, pire que la chasse au dahu de mon enfance, pire que la chasse au kappa malicieux de mes cauchemars. Evidemment rentrés bredouilles et sans même rapporter les magnifiques ormeaux, caviar de la mer, nacrés et scintillants que j'avais, avec audace et détermination, réussi à décrocher de leurs rochers, et qui m'avaient rendu mes yeux rieurs de petite fille, tu t'étais montré d'une humeur massacrante.
C'est ce soir-là que j'avais commencé à me détacher de toi.
Tu ne liras jamais cette lettre, pliée dans son enveloppe blanche. Il manque le timbre et une adresse.
Je n'ai plus ton adresse, et je ne veux surtout pas la rechercher. Peut-être as-tu déménagé, es-tu marié avec des enfants qui s'agrippent à ton pull ? Est-ce que tu portes toujours tes horribles gilets à quatre boutons été comme hiver ?
Je me souviens cependant que j'aimais,
y glisser ma tête, pour m'enivrer du parfum ambre et bois de santal, d'Elizabeth Arden,
y être blottie à l'écoute de nos cœurs se répondant à l'unisson, comme une sorte de symphonie du nouveau monde rien que pour nous.
A la fin de cette lettre, rageusement écrite comme un exutoire libérateur, je crois pouvoir dire que j'ai enfin tourné la page de ce qui fut nous.
Pendant quelques jours, je garderai l'enveloppe sur le bord de la cheminée et puis, un soir, lorsque les flammes danseront dans l'âtre, et que leur beauté fascinante m'aura enveloppée, je me lèverai et mes mots finiront en un petit tas de cendres noircies.
Tu n'existeras plus, mieux, tu ne me manqueras plus.
Enfin, la vie se ranimera, le bonheur pourra revenir. Je ne serai plus sous ta domination.
Enfin, j'aurai le droit d'être une femme libre, ivre de vie, et de liberté.
Tu étais mon petit oiseau, tu n'es plus rien pour moi. erc/dr
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