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Publié par fuzzybabeth

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L’automne hésite. Un pas en avant, un pas en arrière.

Un coup de froid suivi d’un vent chaud que l’on imagine tout droit venu du Sahara. Pas celui de Kadhafi, celui de l’immensité des dunes gonflées de  promesses et de beauté, de parfums de dattes et de thé à la menthe.

Malgré le soleil, la somnolence est plus forte que tout. Un léger malaise se dit-elle. Pas une grande envie d’action. Une douleur lancinante lui arrache des larmes. Elle se met à jurer : «p… de dent de sagesse». Elle se calme un peu. Un SMS la sort de sa torpeur.

«je suis parti au parc des bruyères»

«il fait beau ?»

Quelques secondes et arrive un MMS avec une photo mangée presque en totalité par un ciel d’un bleu si fort, si magnétique qu’il l’emporte dans ses pensées.

«Ah bô ! çà donne envie»

Elle ravale sa douleur, laisse la petite chienne endormie dans sa polaire rouge, la queue en guise de cache-nez, quitte le canapé, et en deux temps trois mouvements, enfile son manteau, des chaussures confortables sans oublier son éternel chèche qui lui protège le cou qu’elle a si frileux et qui cache les outrages du temps. Les rides ont encore un peu épargné son visage, mais son cou est strié de bandes qu’elle aimerait ne pas voir. Et le fait de perdre quelques kilos n’arrange rien à l’affaire. Elle a choisi son chèche violet, une belle couleur franche et forte pour aller rencontrer le soleil.

Elle crie à son mari : «je m’en vais» et ajoute d’une voix plus faible «seule».

Il ne marche pas assez vite pour elle, et puis il faut fermer la maison. Elle suppose qu’elle ne pourra pas pénétrer dans le parc avec la petite chienne qui dort toujours d’ailleurs.

À peine sortie, et prise de doute elle envoie un SMS :

«çà ferme à quelle heure ?» Petite inquiétude, la journée est déjà avancée. Et si le parc ferme à 17H30 comme la coulée verte, elle n’aura pas le temps de le rejoindre.

«bonne question» répond-il.

«18h»

Ragaillardie, elle envoie le dernier SMS avant leurs retrouvailles :

«j’ai le temps d’arriver. Je suis ds la coulée verte».IMG_2513.jpg

 

Joyeuse, elle est heureuse de croiser ces familles qui profitent de ce dimanche ensoleillé pour sortir les petits et leurs vélos. Bientôt Noël, le Père Noël leur apportera un autre vélo un peu plus grand. Les petits grandissent si vite.

L’humeur est joyeuse. Elle les croise de son pas tellement décidé. Une longue balade l’attend. Elle croisera la voie de chemin de fer désaffecté qu’elle aime emprunter en rêvant à de grands voyages imaginaires.

La porte est là. Une des nombreuses portes de ce petit parc, ouvert sur les immeubles très récents. Les balcons et terrasses sont inondés de soleil. Quel plaisir de voir des plantes, des fleurs, de la couleur, du rouge, du vert sur tous ces balcons ! Elle déteste tant voir ces endroits intimes qui sont un prolongement sur la ville, transformés en dépotoirs où les vélos, meubles et cartons devenus inutiles finissent leur vie dans une tristesse infinie.

Ici tout est beau. Ils ont conservé la soufflerie de l’ancienne usine Hispano-Suiza : belle idée. Telle une sculpture elle domine le parc. À l’intérieur une école maternelle : la cigogne. IMG_2517.jpg

Ils ont planté différentes essences d’arbres, des persistants, des caduques. Le feuillage bleuté côtoie les feuillages rouge sang et mordorés de l’automne. Les feuilles sont encore accrochées aux branches solides en attendant les premiers brouillards qui viendront tout effacer.

Quelques-unes ont eu moins de chance, déjà elles sont à terre. Un craquement rapide. Une d’elles vient d’être pulvérisée par la semelle d’une basket. Plus loin, une autre plus chanceuse, court, roule poussée par une petite brise chaude. Elle s’éloigne vers un autre destin.

Les enfants jouent ou donnent à manger aux canards qui indifférents nous montrent leur croupe et partent en cancanant vers l’autre côté du petit lac en contournant avec adresse le jet d’eau central.

Au loin, elle le voit, il est assis, la tête au soleil, appuyé sur le rebord du petit muret. Les jambes allongées, seul dans sa bulle, tandis que des jeunes rient pas très loin de lui. Il a sorti son petit carnet de moleskine noire, bien fermé par un élastique. Il écrit. Depuis quelques semaines, elle sait qu’il fait son journal intime. Il y relate ses relations, les conversations qu’il ose maintenant entamer. Il doit écrire beaucoup d’autres choses, mais c’est son secret. Elle sait qu’il remplit toute la page de son écriture anguleuse, fine et si difficile à lire, perdue entre le graphisme français et Italien un mélange pas très réussi elle l’avoue. La  page est pleine, pas de marge, ni à droite, ni à gauche, pas plus qu’en haut ou en bas. Elle est fascinée par la régularité de l’écriture droite sans faiblesse. Si elle était méchante, elle dirait «comme un encéphalogramme plat» oui, c’est la comparaison qui lui vient. Une écriture maniaque, ordonnée est plus aimable.

Elle s’approche, ne veut pas le déranger, lui fait juste un compliment, échange quelques paroles sans se baisser et part faire le tour du parc. Elle n’habite pas très loin. Souvent, elle en a fait le tour de l’extérieur, mais jamais elle n’avait pris le temps d’y pénétrer. C’était aujourd’hui. Lui y vient souvent, c’est un but de ses longues séances de jogging. Il en revient rouge et transpirant ce qui parfois lui fait un peu peur. Avoir peur pour son enfant, c’est un peu le lot des parents et hélas, les années n’arrangent rien. Quand il sera parti, il faudra bien qu’elle lui fasse confiance. Peut-être sera-t-elle soulagée ? Elle se dit, alors que les hydrangéas géants, en fin de floraison, perdent de leur superbe, que le quotidien use dans tous les cas, que ce soit mari ou fils.

Chacun a besoin de son indépendance. C’est aussi pour cela qu’elle est sortie seule.

Son tour de parc est fini. Elle revient à son point de départ, près du petit bassin. Elle enjambe un couple qui s’était installé sur un escalier. Ses articulations ne lui permettent pas de sauter et encore elle est émerveillée de voir les progrès qu’elle a faits depuis son fameux voyage. Elle se fait discrète pour ne pas trop les déranger. Elle repense à Fisherman Wharf, un peu la même configuration en estrade. Un modèle réduit le petit parc. Elle cherche le bruit assourdissant des mouettes. Elle sourit à cette idée. Encore imprégnée, décidément, elle n’arrive pas à s’en détacher.

Pendant ce temps là, une adorable petite fille au pantalon blanc, à moins que ce ne soit un petit garçon aux cheveux longs, noir de jais, s’approche du bord du bassin où l’eau affleure le bord.

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Elle a peur pour elle puis elle ferme les yeux. Elle s’est assise assez loin de lui. Chacun son coin. Des tâches rouges et orangées arrivent en cascade derrière ses yeux fermés. C’est beau, lumineux, bouillant, sensuel, toutes ces couleurs comme dans un kaléidoscope, elle voudrait que cela ne finisse jamais. L’émotion l’envahit. La douleur est revenue. Elle a envie d’écrire. Elle n’ose pas sortir son carnet. Pendant ce temps-là, il s’est levé. Elle pense qu’il est temps de rentrer. Il s’approche d’elle et lui dit doucement «on rentre» belle synchronisation des pensées. Elle se lève puis ils quittent le parc. La balade n’est pas finie. Ils voient le coucher du soleil, et décident avant de rentrer d’aller s’asseoir à la terrasse d’un café. Ils ne repartiront qu’après cette petite halte crépusculaire, par le train pour une station de paresseux. La nuit est tombée. L’automne se fait sentir.

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Il lui restera quelques photos de son dimanche. Il y en aura de moins en moins, alors elle profite de tous ces moments qu’elle peut partager avec lui en espérant qu’un jour il ne sera plus là pour son bonheur à lui.

23 octobre 2011 (les bruyères)

(photos FBT)

 

 

 

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