8 h 47 samedi et les pigeons
Tout près de moi, tu me caresses, mon soleil, tu réchauffes ma carcasse engourdie.
Le jaune ardent de tes rayons, en ce petit matin, me transperce jusqu'au plus profond de mon être, de mon âme, de ma sensibilité.
Une rose est éclose, rose, chatoyante, tentante, fragile.
Elle offre, imprudente, impudente, son corps épanoui à mes yeux éblouis.
Déjà ce soir, accablée de soleil elle sera moins éclatante, moins lumineuse. Je l'aimerai malgré tout, elle m'aura tout donné, pour un jour, pour une heure. Un instant de bonheur.
Tout est calme, il est encore trop tôt, seuls les battements de mon cœur, et de ton gros cœur de petite chienne, blottie sur mes genoux, sont à l'unisson et ponctuent ce moment privilégié.
Les oiseaux chantent, s'appellent, se répondent. Mieux que des SMS, des chants pour échanger pour se parler, que c'est beau !
Dans le jardin, de longues et fines brindilles, tombées, posées comme un mikado oublié, m'ont intriguée cette semaine, au pied du grand et vilain érable inutile qui me cache un angle de MON soleil.
Une brindille, puis deux, puis un petit fagot. Je n'ai pas compris tout de suite, puis comme une fulgurance, j’ai trouvé la solution à ce mystère. L'improbable m'est apparu.
«Il y a un nid dans l'arbre»,
Des oiseaux ont fait confiance à mon jardin, à mon arbre. C'est chez moi que leur famille va se former. Les petits vont naitre dans ce nid et vont y grandir. De petits pépiements vont retentir. Le premier essai hors du nid. Maladroit, plein de cet instinct de survie. Tous ne survivront pas. Les plus forts seulement, comme les humains. Et les faibles, les fragiles...
Je suis fière et émue. Et puis soudain mon sentiment s'effiloche, la moutarde me monte au nez… ce ne sont pas des moineaux, même pas un merle. J'aurais aimé le geai, aux reflets bleus, si discret, si espiègle, si léger qui parfois me rend visite.
Horreur, ce sont ces satanés pigeons qui ont élu domicile dans l'arbre.
Le pigeon des villes n'est que fiel et profiteur. Je lui préfère son cousin le pigeon voyageur.
Et s'ils se vengeaient de ma hargne à leur égard en squattant mon arbre. Je les hais, ce sont eux qui souillent mon toit, mon balcon, mon jardin qui sans aucun respect du prochain roucoulent à gorge déployée, sans pudeur, sans retenue.
Le pigeon et sa fiente nauséabonde et corrosive !
Le pigeon de Patrick Süskind :
«il était posé devant sa porte… il avait ses pattes rouges et crochues plantées sur le carrelage… et son plumage lisse était d'un gris de plomb : le pigeon.
Il avait penché sa tête de côté et fixait Jonathan de son œil gauche. Cet œil, un petit disque rond, brun, avec un point noir au centre, était effrayant à voir. Il était fixé comme un bouton cousu sur le plumage de la tête, il était dépourvu de cils et de sourcils… il y avait là, dans cet œil, une sorte de sournoiserie retenue… C'était un œil sans regard.»
Le concert est reparti, les roucoulements reprennent, les oiseaux n'en ont cure, chacun son registre. Une vraie cacophonie.
Comment se plaindre lorsque l'oreille n'a que ces chants de vie dans l'oreille !
Pas de voiture, pas d'avion à cette heure matinale, pas d'enfant qui piaille et le soleil mon ami.
Le thé va être froid, les corn flakes ramollis dans le lait.
Un volet qui s'ouvre
Un samedi de mai
Un samedi prometteur
Blanche la table,
Blanc le lait,
Blanc le bol,
Blanc le danacol,
Noir le grand bol de thé,
Gris et blanc la saleté de pigeon
Grrrrr. Le pigeon !!!
Dilemme : détruire le nid ou pas. Pitié ou pas pitié ?
La journée le dira.
Les œufs. Trop tôt ou trop tard. Les petits pas encore ? Tout itou.
Observer, prendre l'échelle et décider.
Ma vitre assassine, miroir aux alouettes, l'avait attiré, un grand fracas, boum ! même pas mal, devant mes yeux effarés, le cœur battant la chamade, le mien, il est reparti de son long vol soyeux. Le petit moineau avait eu moins de chance, tombé mort faute à ma fenêtre.
Ah ! évidemment, s'il avait coupé l'érable comme je le souhaitais, il n'y aurait pas de nid, pas de dilemme !
Si… mais… il n'a pas coupé l'arbre et le dilemme est né !
En attendant, la simplicité, la beauté, la majesté des fleurs m'enivrent et m'émeuvent.
La petite chienne s'enhardit, de sa fine patte noire, elle toque le bol, alléchée par les corn flakes désespérément flasques au fond du bol ! il faut que j'arrête, car la purée de corn flakes ne me dit rien qui vaille.
Pensées mutines, campanules fragiles, roses multicolores, bégonias flamboyants, gardénia enivrant mes narines, seringa odorant, je vous aime petit monde de fleurs. Vous êtes mon petit monde, ma bouffée d’oxygène, sans vous rien n'est possible.
Mais ! pose ton stylo ce n'est pas possible !!! tu ne peux plus t'arrêter. Je sais tu voudrais que le temps s'arrête, là, juste maintenant, elle si chaude et son petit cœur à l'unisson avec le tien un peu déglingué.
Pose ton stylo !
Stop !
Je te dis : stop !
Rétive, tu n'en fais qu'à ta tête. Arrête, je sais ce qui va arriver.
Qu'attends-tu ? Que les larmes viennent, que tu te noies dans leur chaud réconfort, comme çà, juste le bonheur des pleurs, se laisser aller, tout lâcher, sans penser plus avant !
Te noyer dans des larmes chaudes de paix, de quiétude, d'apaisement et d'angoisse mélangés. Un œil pour la joie, l'autre pour la peine.
STOP ! je te dis stop ! Game over
Arrêter la clepsydre dans sa course
Retenir la vie, l'émotion
MON Assam pur du matin, gouttes de volupté, est froid, cette fois-ci il est temps.
Et les pigeons ? Plus tard.