Adeline et Jacques
Adeline et Jacques
Appelons-les ainsi
à défaut de connaître leur nom
Mais ces deux prénoms
Vont bien avec leur génération
celle du “tout est possible”
que les jeunes nous reprochent aujourd’hui
et qui me fait sourire
s’ils avaient vécu cette génération
qu’auraient-ils faits ?
pareil et peut-être pire
chaque génération fait le procès de la précédente
depuis que le monde va
Calfeutrés dans leur boutique
Vue sur des façades
Dégagement sur une petite place
Ils ne voient pas la mer,
ni le joli port
Mais ils sont en centre-ville
Si l’on peut appeler cette ville : ville
Une ville qui est un port de pêche
réputée pour la pêche à la coquille Saint-Jacques
dont des vestiges s’agglutinent en strates serrées,
sous la surveillance de la tour Vauban,
battus quasi inlassablement par des vents parfois rageurs
Port de pêche
Tourisme aussi
De jolis restaurants
De jolis menus
Du poisson
Des crustacés
Des coquillages
Mais pas de couteaux
Et pourtant sur la plage un peu plus loin
Les coquilles vides des couteaux sont bien présentes ; vides.
C'était sans oublier les mouettes avides qui s'en délectent
se baladant fièrement, une longue coquille irisée, moirée, tel un trophée,
dans leur bec effilé noir comme du charbon,
contraste avec les belles plumes blanches de leur bec
à la recherche de leur belle pour leur offrir un gage d'amour
Revenons à Adeline et son conjoint
Un couple, pour moi, un drôle de couple,
un couple comme des millions d'autres pourtant
qui a traversé ensemble les décennies, malgré vents et marées
un objectif commun : “faire tourner la boutique”.
Rencontrés par hasard, au détour d’une rue, mais pas que je le sens
à la recherche obstinée et indispensable d'un magasin d'alimentation !
Maintenant je sais il y en a un au moins ouvert le dimanche !
ouf ! enfin des victuailles à mettre dans le frigo.
Il semble que ces gens-là ne ferment jamais leur magasin.
J'imagine quand ils étaient plus jeunes, dans les réserves, dès vingt heures et la porte fermée, les scènes fripones entre deux cartons de lessive et de petits pois.
il faut bien cela, quand on a passé sa journée entière à servir des madames Michu, des messieurs grognons, des touristes dans différentes langues, parfois des gens sympas, quand d'autres ne connaissent ni bonjour ni bonsoir
ni merci ni svp
Bien protégé des vents, la boutique est comme on l'imagine en province, comme je l'ai connue il y a longtemps, dans le Poitou surtout, la boutique où l'on trouve de tout, enfin tout le nécessaire comme on le conçoit en France, du rouleau de Sopalin, au rouleau anti mouches, en passant par les épingles à linge et les haricots verts frais cueillis, sans oublier l’été les melons sucrés et leurs escortes de guêpes ivres de leur parfum.
Dans la vitrine réfrigérée, des fromages locaux et de la charcuterie à la coupe ce qui n'est pas le cas de tous les petits points de vente
des jolis fromages locaux dont le Neufchâtel, ce fromage que j'aime tant, à la pâte ferme, mais qui sait se montrer coulante et surtout en forme de cœur
Et puis les Livarots, les Ponts l'Evêque, mais pas que des fromages normands, du gruyère avec un peu ou beaucoup de trous, du conté, presque sans trous et d'autres.
Des produits typiquement français avec une odeur française, avec une saveur française
Si vous entrez dans une épicerie en Italie, c’est la mozzarella et le parmesan qui trônent en maitre des lieux ainsi que la mortadelle et du jambon cru et, le parfum du parmesan n'est pas celui du camembert.
Le parmesan, se fait sentir partout dans la rue, dans les restaurants, dans les boutiques et même dans les maisons, chez ma belle-mère, pas de Chanel 5, c'était une bouffée de parmesan dans les narines qui vous accueillait mélangée à celle de la naphtaline. Il suffit de s'y habituer.
Ou en Islande, l'odeur du poisson séché que l'on mange comme du saucisson.
La petite boutique s’appelle Proxy
pourquoi pas !
Presque un nom suranné qui disparaîtra un jour comme il était arrivé, pour laisser la place à un autre nom, car rachetés par une autre chaîne, la loi du marché, ils s'appelleront City, Market, des noms bien français.
Et nous continuerons à aller faire nos courses sans état d'âme
Qui se souvient encore des : Cercle bleu, Primistère, Familistère, Félix Potin, La Parisienne et plus récemment : Continent, Mammouth, Champion et j'en passe
Proxy il porte bien son nom pour nous, c'est notre magasin de proximité
Nous n'avons que dix kilomètres à faire pour y acheter le pain quotidien ou le sel !
Autant ne pas oublier la liste sur la table en partant !
Ici, loin de Proxy, c'est la nature, les collines, la plage, le sable,
Les souvenirs du débarquement, la plage : des kilomètres de sable blond
Le sable, dans lequel sont encore mélangés des fragments de toute nature, minuscules, microscopiques, d'un peu tout ce que fut le débarquement
Ce qui laisse la pensée vagabonder vers ces hommes, des adolescents pour la plupart, qui n'ont jamais quitté la plage fauchés, explosés avec tout le matériel dont ils dépendaient
mais qui ont libéré la France.
Soixante-douze ans après...
La plage : marcher sur ce sable ferme, doux, moelleux, bienveillant en se disant que peut-être
on piétine, un soldat de l'Oregon, de Californie, d’un autre état, enfin n'exagérons pas, une particule ce qui me fait penser que nous ne sommes qu'un et que nous sommes tous reliés par un lien
et surtout que nous ne sommes que des grains de sable dans l’univers
Ici et ailleurs
Les archéologues disent également qu'il y en a encore pour un temps infini avant que le sable redevienne sable et que sable.
Je comprends avec le recul, pourquoi, instinctivement, j'avais une réticence, une résistance et en même temps une attirance pour ce lieu.
Je comprends aussi pourquoi j'aime venir sur cette plage pour ce lien, du passé, du présent,
Les pieds enfoncés dans le sable pour mieux communier avec l'horreur, pour mieux entendre le passé, et pour se dire plus jamais ça, comme la visite de tous les cimetières. Celui Britannique de Bayeux où plusieurs divisions de stèles allemandes font partie intégrante de ces milliers de morts.
Ou, ce cimetière allemand de La Cambe où justement là se pose la question
Qu'aurions-nous fait ? Je n'ai pas la réponse. Nous fûmes les vainqueurs, nous aurions pu être vaincus.
Et la question première "pourquoi la guerre ?"
Par l'ignorance, par orgueil, par défi, par vengeance, par soif du pouvoir et celui des richesses, de la puissance. Qu'importe que le peuple meurt ! le schéma est le même depuis l'origine des conflits et personne n'en a tiré de conclusion.
En espérant qu'il éclaire l'avenir mal embringué
Mi-aout lorsque l'on pense que dans cette frénésie mondiale, nous avons consommé tout ce que notre unique planète pouvait nous offrir
et que ces hommes se sont fait tuer
on peut s'interroger sur l'avenir
Revenons à Adeline et à son époux, ce couple typique-atypique-énigmatique
D'hier et pourtant d'aujourd'hui ,
D'hier, comme lorsque j'allais chez "Marteau" acheter un Pouligny et du lait au bidon.
Aujourd'hui parce qu'ils ont les produits d'aujourd'hui, lyophilisés, stérilisés, UHT, sous vide, datés, la purée en flocons et la science ne fait que continuer à chercher
Une question ?
Puisque le lait est longue conservation voire en tube
Pourquoi un jour n'aurions-nous pas du beurre en tube qui se conserverait à température ambiante ?
on n'en manquerait plus au petit déjeuner !
Le petit monsieur arbore une veste, à rayures bleues et blanches, pied-de-poule, pied de coq, qu'importe j'ai oublié, un peu comme une veste de boucher,
donc un brin d'élégance, de respect pour sa clientèle et pour sa chemise.
Couleur paille, années 70 encore impeccable, il nous l'a montrée, avec fierté, en défaisant les boutons de sa veste. Dans la boutique nous étions quatre, la boutique allait fermer et nous sommes partis à refaire le monde, à dire c'était mieux avant, pas tout heureusement. Un monsieur bien dans ses baskets
Et madame en caricaturant exagérément, un couple à la Dubout.
Beaucoup de jovialité, de spontanéité, de sagesse. Je les imagine il y a des années se lançant dans un rock effréné lors du bal des pompiers du 14 juillet, ou à l'occasion d'un mariage.
Une femme qui a les pieds sur terre
Les cheveux peut-être un blond normand quand elle était plus jeune, qu'elle devait laisser couler sur ses épaules et qu'aujourd'hui elle relève en une espèce de chignon désordonné pour ne plus les voir traîner en volutes paresseuses le long de son dos. Les couper ? Il n'en est pas question !
Causante, très causante, je n'ai pas pu résister
J'ai attaqué la conversation, j'ai cru qu'on allait finir la soirée ensemble au bistrot autour d'une marmite de moules frites ! je n'aurais pas su dire non.
conclusion
Si vous cherchez un magasin de proximité quand vous êtes à dix kilomètres de la première allumette qui soit
Rappelez-vous : Proxy
Voilà comment refaire l'échelle des distances
Dix kilomètres
C'est rien
Quand on réfléchit bien, je l'ai bien fait l'autre jour aller-retour sur la plage
Ah oui, mais c'était à pied !
Attention aujourd'hui jour de courses vérifier avant de partir qu'il ne manquera rien
Et même s'il manque quelque chose, l'important c'est le calme, la plage, le sable, le soleil, le sommeil,
je crois que j'en abuse
Et laissez le temps aller au rythme des marées, des vacances et des rires
Au rythme du temps,
Du soleil qui se couche
De la lune qui se lève
Puis du soleil qui se lève
Et de la lune qui se couche
De la marée qui monte
Et de la marée qui descend
J'aime bien la marée qui descend
J'ai vu des grosses méduses
J'ai ramassé des os de seiche
Le sable est encore humide
Une pierre ponce géante sous les pieds.
je vais vous quitter
De nouvelles aventures m'attendent
Peut-être y aura-t-il ce soir un coin de sable pour poser mes pieds
Et marcher marcher juste avec l'horizon pour ambition
Juste avec l'horizon
Juste avec l'horizon.
Colleville - août 2016
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